Chapitre 46.

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Je blêmis violemment.

— Que va-t-il faire de cette information ?

Il déglutit.

— Au fait, avant qu'il ne me révèle cela je lui ai raconté pourquoi tu vivais chez moi...

Je fronçai les sourcils.

— Et donc ?

Il serra sa tête dans ses mains et répondit :

— Il m'a fait un chantage. Il ne révèlera rien de ce qu'il sait à personne et fera croire au syndrome du papillon de nuit à son ami si tu pars de chez moi et...et...que nous coupons...les ponts.

Christian pleurait. Son corps était secoué de sanglots. Les larmes me montèrent aux yeux et roulèrent sur mes joues doucement. Il se redressa et dit avec rage :

— Nous sommes maudits ? Hein ? Pourquoi tout le monde met tout en œuvre pour nous séparer ? On a rien demandé, on veut juste vivre tranquillement ! On veut être heureux ! On a le droit d'être heureux, non ? C'est mal de vouloir être avec la personne qu'on aime ?

Je secouai la tête tout en pleurant. Il me prit dans ses bras.

— On vient tout juste de se retrouver...

Je me redressai et lui demandai en essayant d'avoir une voix assurée :

— Comment ton père a-t-il pu savoir que c'était moi ?

Il baissa la tête et répondit :

— Il s'est souvenu qu'une femme avec un masque fait de racines entremêlées et aplatis était entrée dans ses rêves. Il a cherché sur les caméras de surveillances mais n'a rien trouvé et m'a donc soupçonné d'être de mèche puisque j'étais semble-t-il très nerveux lorsque ce matin il m'avait parlé d'une personne manipulant ses rêves. Il est donc revenu me voir, il a simulé vouloir aller aux toilettes, il est monté à l'étage, il est entré dans ma chambre et a trouvé les vidéos manquantes avec ton visage dessus. Tu connais la suite...

Je serrai mes poings et demandai :

— Il n'y a vraiment aucun moyen de faire changer d'avis ton père ?

Il leva la tête désespéré.

— Aucun.

Mes jambes se mirent à trembler. Non seulement j'allais me trouver à la rue mais en plus j'allais être séparée de... Christian.

Il ajouta d'une voix morne :

— Mon père viendra s'installer ici avec moi pour m'empêcher de te cacher. Il arrive... ce soir.

Je me levai énergiquement et me tournai vers Christian :

— Je t'ai promis que je ferai en sorte que rien ne puisse plus jamais nous séparer, ne t'inquiète pas ce n'est pas ton père qui empêchera cela. Certes on ne se verra sans doute pas physiquement pendant quelque temps mais nous pouvons nous appeler et nous envoyer des messages, ce sera comme une relation à distance. J'ai suffisamment d'argent sur mon compte grâce aux économies de mes parents et aux miennes pour subvenir à mes besoins et continuer mes études pendant environ une année, ce qui me laissera assez de temps pour retrouver la famille de ma mère.

Il se leva à son tour et dit simplement en m'embrassant :

— Tu es tellement courageuse.

Je me retournai brusquement pour qu'il ne voit pas mes larmes et je dis d'une voix que je voulais ferme :

— Je vais faire mes valises, plus tard quand j'aurai retrouvé la famille de ma mère, je te débarrasserai des affaires qui sont à l'étage supérieur.

Je montai l'escalier lentement, abattue. Combien de temps allait s'écouler avant que je ne revoie la tapisserie un peu vieillotte de l'escalier, les planches grinçantes au bruit si familier de ma chambre, l'odeur des pancakes le matin et les yeux verts de Christian ?

Je mis pêle-mêle dans ma valise tous ce que j'avais dans ma chambre en soupirant, puis je me levai. Ma chambre était comme à mon arrivée, vide et rangée. Je souris. Je me rappelai la première fois que j'étais entrée dans cette pièce, à cette époque Christian n'était qu'un ami.

Je tirai ma grosse valise derrière moi et Christian m'aida à la descendre dans les escaliers, je lui dis pour détendre l'atmosphère :

— Tu ne m'avais pas dit un moment que tu devais porter ta valise toi-même et moi la mienne ?

Il esquissa un léger sourire. J'avais atteint mon objectif. Il tourna la tête vers moi.

— Tu veux tenter de porter toute seule cette valise ?

Je secouai la tête vigoureusement.

— Je préfère voir tes muscles à l'œuvre.

Il sourit franchement.

— Heureusement que j'en ai beaucoup.

Il déposa ma valise au pied de l'escalier et me prit dans ses bras.

— Je pense que tu n'imagines pas à quel point tu vas me manquer. Promets-moi que tu m'appelleras tous les soirs.

Je senti une boule se former au fond de ma gorge et je répondis d'une voix tremblante :

— Je te le promet.

Je me détachais de son étreinte à regret et fixai mon regard sur son visage comme pour mémoriser chacun de ses traits puis je tournai la tête brusquement et enfilai mon manteau. Christian ouvrit la porte. Je pris ma valise et franchis l'entrée.

Je ne me retournai pas. Je ne voulais pas m'effondrer après avoir vu encore une fois ses yeux verts humides de larmes refoulées.

Nous faisions tous les deux comme si nous allions nous revoir dans un an tout au plus mais là seule, dans la rue sombre, dans la nuit froide, je me rendis compte que nous pourrions attendre bien plus d'un an avant de nous revoir. Monsieur Faure n'allait pas changer d'avis.

Je m'assis sur un banc et vis au loin une voiture s'arrêter devant la maison de Christian et son père en sortir avec une grosse valise. La porte s'ouvrit et je vis sa silhouette. Monsieur Faure entra puis la porte se ferma.

J'attendis ainsi pendant plusieurs heures transi, devant sa maison. Les lumières s'éteignirent peu à peu. Mes membres s'engourdirent sous les coups du froid.

Je serrai mon manteau sur mon corps. Je me levai et marchai sans m'arrêter jusqu'à un parc dans lequel j'entrai sans hésiter, puis je m'étendis sur un banc. Je me mettrai à la recherche d'un logement demain, pensais-je.

Je fermai les yeux. Des larmes brûlantes roulèrent doucement et réchauffèrent mes joues rosies par le froid.

La tisseuse de rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant