Chapitre 23

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Alors que le froid devenait de plus en plus vif sur l'île des part-en-vrille, Harold décida de renvoyer Astrid et Rustik à Beurk, pour protéger leur village.
Bien qu'ils aient beaucoup hésité, ils finirent par accepter et quitter l'île, le cœur lourd.

Pitch voulait détruire le moral de ses adversaires.

Avec la mort de Sable.

Celle de Jack.

Les cauchemars à répétition.

Les famines causées par le gel.

Il avait parfaitement réussi.

Plus personne sur toute l'île et même au delà n'avait le courage de se battre. Tous, mortels et esprits, humains et dragons, attendaient la fin, l'air hagard.

Même la vengeance n'était plus une raison suffisante pour prendre les armes.

Il y avait à peine deux jours que Jack était mort. Harold avait dû l'enterrer, dire les paroles sacrées pour lui autoriser l'accès à l'au-delà... 

Jamais il n'aurait cru aimer quelqu'un autant un jour. 

Et jamais il n'aurait cru que ce quelqu'un allait lui briser le cœur comme ça. Plusieurs fois.

Mais, alors qu'Harold était retourné à la tombe de Jack pour y pleurer une dernière fois, il vit avec surprise et horreur -oui, horreur- que son amant n'y était plus. On avait retourné la terre, jeté les cailloux çà et là, et récupéré la dépouille de Jack.

Harold se laissa tomber sur les genoux, devant la fosse vide. Il n'y avait plus une seule larme dans ses yeux, plus un seul sanglot dans sa gorge. 

Il était épuisé.

Il n'en pouvait plus.

Tout ce qu'il voulait, c'était dormir, dormir longtemps, dormir bien, et retrouver Jack à son réveil.
Mais il ne pouvait pas se permettre de mourir. Pas pour l'instant. Il avait un peuple à gouverner, des amis à s'occuper.

Il se redressa sans un soupir, gardant les yeux fixés sur le trou béant qui avait gardé le corps frêle de Jack.

-Tu n'as pas gagné, Pitch, murmura-t'il. Il y aura toujours quelqu'un pour se battre contre toi.

Sur ces mots, il s'en alla rejoindre les Gardiens. Ceux-ci avaient en effet organisé une résistance, quand bien même la force manquait. Pour Sable, et pour Jack. Pour vivre ce jour, et vivre celui d'après, encore et encore, jusqu'au Valhalla.

Dagur et Mala testaient les armes, Fée s'occupait des dragons, Bunny du soutient émotionnel (il était abominablement mauvais) et Nord... Nord culpabilisait, beaucoup. Mais, en tant que chef des Gardiens, il se devait d'être fort.

Alors que la rébellion se mettait en place, grâce aux efforts de tous, du simple paysan au roi de l'île, on n'entendait plus parler de Pitch.
Il semblait avoir disparu, pour le moment, et le sommeil des mortels n'en devenait que plus apaisé, ce qui redonnait du courage aux plus désespérés.

Les jours passèrent, puis les semaines, sans que le Croque-mitaine ne fasse son apparition. Tous les habitant étaient prêts, et un réseau de lettres entre Beurk et l'île des part-en-vrille permettait de savoir les nouvelles à un jour d'écart seulement.

Alors on attendait. La soif de vengeance se remettait à bouillonner dans les esprits, le courage revenait aux cœurs, et le désespoir n'était qu'un lointain souvenir.

Mais soudain, l'Ennemi frappa à nouveau, durement: Beurk était assaillie.

Sans attendre, on sella les dragons, et les combattants s'élancèrent vers l'île en danger.

Harold était évidemment à leur tête.
D'après les lettres que lui avait envoyé Astrid, une silhouette à dos de dragon avait été aperçue rôdant dans les parages, et l'air n'avait jamais été aussi froid. Il y avait également mentions de cauchemars récurrents chez certains habitants.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les voilà arrivés.
Une lueur d'espoir brille dans les regards de ceux qui les voient si déterminés.

C'était la guerre, une guerre contre un ennemi commun aux mortels et aux Esprits.

Mais Pitch ne se laissait jamais voir. Il semblait avoir tout simplement disparu.

Jusqu'au jour où il attaqua.

Le soleil jetait ses derniers rayons sur Beurk, et teintait le paysage de rose, tandis que les nuages s'amoncelaient dans le ciel.

Harold, l'air toujours aussi lugubre, marchait, seul.
Il avait tout juste commencé à faire son deuil, mais la solitude l'accompagnait où qu'il aille. Il insistait souvent pour que même Krokmou ne l'accompagne pas lors de ses promenades.

Soudain, il frissonna. L'air venait subitement de devenir beaucoup plus froid, sans pour autant qu'aucune aurore boréale ne s'annonce à l'horizon.

Harold fronça les sourcils, la main sur la garde de son épée de feu. 

Le brouillard opaque qui accompagna la chute brutale de la température l'alarma davantage, et il recula jusqu'à sentir le mur d'une hutte dans son dos.

Il savait qu'il était seul. 

Seul contre ce qui était dissimulé dans la brume.

Il savait aussi que les rage des neiges aimaient attaquer quand leurs proies ne pouvaient pas les voir.

Sortant son épée de son fourreau, il la brandit d'un air menaçant, sans pour autant l'allumer.

-Pas pour l'instant... pensa-t'il.

Il tendit l'oreille, espérant, dans ce silence de mort, entendre des grognements ou des bruits de pas qui pourraient trahir la créature... Mais il n'y avait rien.

Rien, à part le léger bruit du vent.

Du vent...

Harold réalisa qu'il n'y avait pas de vent.

Il se jeta sur le côté avec un hurlement, juste à temps pour éviter l'immense dragon qui s'était jeté sur lui toutes griffes dehors.
Allumant son épée, il fit face à l'imposante créature, dont il pouvait discerner la silhouette.

Une forme plus petite se tenait sur le dos du rage des neiges, et Harold sut qu'il s'agissait de Pitch.
Une colère sourde monta en lui. S'il y avait bien une chose dont il était sûr, c'était que le Croque-mitaine devait mourir.

L'Esprit descendit prestement de sa monture, qui laissa échapper un petit gémissement pathétique. La douleur que ressentait le dragon ne fit que rendre Harold plus furieux encore, serrant les deux mains sur la garde de son épée.

Pitch, également armé, s'avança de quelques pas, avant de s'arrêter pour considérer son adversaire.

Harold n'eut pas le temps de réfléchir un instant, car déjà il se précipitait contre le Croque-mitaine:

-Voilà pour Jack! Cria-t'il à plein poumons.

Il éleva son épée flamboyante au dessus de sa tête, et parut, pendant un instant, être couronné de flammes, comme si Odin lui-même lui avait accordé son aide.

Mais, lorsque les deux ennemis se retrouvèrent face à face, lorsque les deux armes s'entrechoquèrent violemment, Harold tomba à la renverse avec un hoquet de surprise.

Le choc éteignit son épée, et la lame se couvrit aussitôt de givre.

Les yeux écarquillés, incapable de prononcer un seul mot, le jeune viking regarda son adversaire s'approcher lentement de lui.

Alors que la brume s'effaçait peu à peu, Harold put voir clairement celui qui lui faisait face.

L'Esprit rit, continuant à avancer jusqu'à être à seulement quelques pas d'Harold.

-M-mais... Balbutia celui-ci, essayant en vain de reculer.

Un rapide coup de bâton dans la poitrine le plaqua brutalement au sol, et il pleura de douleur.

-Et alors, petit viking? On est pas content de me voir?

Le feu et la glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant