Le feu et la glace

Chapitre 4

-Dis, Harold, pourquoi tu dors tout le temps ?

L'interpelé grogna d'une voix ensommeillée. Depuis qu'ils étaient rentrés dans sa maison, toujours avec la plus grande discrétion pour ne pas éveiller les soupçons, Jack ne l'avait pas laissé tranquille une seule seconde. Le jeune viking pensait être tranquille le soir venu, en tombant dans les bras de Morphée, mais l'Esprit, qui n'avait plus besoin de se reposer pour soigner une blessure quelconque, continua à le harceler joyeusement. 

-Pour essayer d'échapper à l'envie de te massacrer pour te faire taire, Jack. Et je te rappelle que je ne dors que six heures par nuit, ce qui est bien en dessous des heures de . . . sommeil requises pour . . . une personne vivante.

Ce disant, Harold se rendormit comme une masse, laissant Jack froncer les sourcils de mécontentement.

-Les vivants sont ennuyeux, murmura-t'il entre ses dents.

Mais son ami ne l'écoutait déjà plus, de toute façon. 

Subitement, Jack vit une lumière dorée par la fenêtre, et qui semblait s'approcher d'eux. L'Esprit eut une exclamation de joie, puis il mit brusquement les mains sur sa bouche. Heureusement pour lui, Harold ne se réveilla pas, se contentant de se retourner dans son lit.

La lumière s'intensifia jusqu'à devenir comme une trainée de sable flottant et pailleté. Jack adorait voir ce phénomène à l'œuvre, chose qu'il avait déjà vu maintes fois par le passé.

-Les rêves passent aussi ici ! pensa l'Esprit avec un grand sourire.

Il regarda par la fenêtre les rêves se glisser dans les maisons et rit doucement, en se demandant à quoi ressembleraient les rêves d'Harold, ou de Krokmou.
Il sortit donc sans bruit de la chambre, et aperçut le dragon, qui ronronnait dans son sommeil. Au dessus de sa tête, Jack vit des rêves de poissons frais, et il sourit. Il y avait également autre chose, comme une sorte de dragon qui ressemblait quelque peu au Furie, mais il ne s'y attarda pas, et retourna veiller sur Harold.

Il eut alors un haut le cœur, car ce qu'il voyait flotter au dessus de la tête de son ami n'étaient pas de doux rêves dorés, mais d'affreux cauchemars noirs qui prenaient la forme d'un grand viking qui se faisait brutalement tuer par une explosion violente.
Harold tremblait, et murmurait des choses incohérentes. Jack fut aussitôt à son chevet, sans savoir quoi faire.

-Je sais faire rire, combattre la Peur et tout ça, mais comment enlève-t'on un cauchemar à quelqu'un ? fit-il, perturbé.

Il prit doucement la main de son ami, qui la serra si fort que l'Esprit crut pendant un instant qu'il allait la lui broyer. Cependant, Harold lâcha rapidement prise et Jack retira sa main à regret.

-Harold. . . Calme toi, tout vas bien, ce n'est qu'un cauchemar. . .

Soudain, il sentit une présence derrière lui, et il craignit que ce soit Pitch. Il se retourna, et vit un petit homme doré, qui avait l'air inquiet, et semblait composé exclusivement de ce même sable magique qui servait à faire les rêves.

-Sable, c'est toi ! Je ne t'avais pas reconnu, s'exclama-t'il.

Le marchand de sable lui fit signe de se taire et s'avança vers Harold. Le cauchemar prit alors la forme d'un cheval noir qui tourna autour de la tête du jeune viking en hennissant agressivement. Quand Jack voulut l'enlever, il lui mordit la main et l'Esprit poussa un cri de douleur en se couvrant la bouche de ses mains à nouveau.

Sable forma alors une boule de sable doré dans ses paumes et la donna à Jack, en pointant la créature du doigt. Jack hocha silencieusement la tête et jeta la boule de toutes ses forces sur le cauchemar. Il se couvrit aussitôt de doré et disparut dans une explosion de paillettes. Cependant, quand le Gardien des songes essaya ensuite de mettre des rêves au dessus de la tête du jeune homme, ils disparurent tous instantanément. Jack, qui observait le manège du marchand de sable, sentit une angoisse grandissante monter en lui à mesure que celui-ci échouait.

-On dirait qu'il ne veut pas rêver, souffla-t'il.

Sable recula, et regarda Jack. Une suite d'images apparurent au dessus de la tête du Gardien, ce qui était sa manière à lui de s'exprimer. 

-C'est pire que cela, j'en ai peur, traduisit mentalement Jack, j'ai l'impression que Pitch le croque-mitaine est de retour, et qu'il est accompagné cette fois-ci.

Le marchand de sable arrêta ses images pendant un moment, puis il reprit :

-Tu dois venir avec moi, chez les Gardiens. Ensemble, nous pourrions mettre au tapis tous ces cauchemars !

-Et qui veillera sur Harold ?!

-Nous, d'une certaine façon.

L'Esprit de l'hiver hocha doucement la tête, et regarda le viking avec des yeux tristes.

-Je savais déjà que Pitch était revenu, fit-il doucement, c'est lui qui m'a fait tomber sur cette île lorsque nous  nous battions. 

Sable hocha la tête, compréhensif, et lui fit comprendre qu'il l'attendrait dehors pour que l'Esprit ai le temps de faire ses adieux. Il sortit ensuite par la fenêtre, assit sur un petit nuage doré volant.

Jack se tourna vers son ami. Les adieux n'avaient jamais été son point fort, et il les trouvait toujours trop durs, et trop. . . longs. Il se contenta d'écrire un petit mot sur un parchemin qui traînait là, et sortit après avoir doucement posé ses lèvres sur la joue d'Harold, qui sourit légèrement dans son sommeil.

-Les adieux, c'est trop triste. Alors, au revoir, petit viking. . .

Une fois dehors, il rejoignit Sable sur le toit d'une maison.

-Je suis sûr qu'il s'en tirera très bien sans toi, au moins pendant quelques temps, essaya le Gardien pour le rassurer, en posant sa petite main sur l'épaule de l'Esprit.

Mais cela n'eut pas d'effet sur Jack, qui regrettait déjà d'avoir passé la porte d'entrée. Il se tordit les mains, presque machinalement, pour se concentrer sur la douleur physique plutôt que mentale. Une grimace fugitive passa comme un éclair son son beau visage pâle. 

Les deux Esprits partirent ensuite dans la nuit, laissant Harold dormir d'un sommeil sans rêve.