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Mon cœur connait une embardée de plus alors que je vois les minutes s'écouler sans pour autant qu'un quelconque changement ne s'opère. Chaque fois que je l'appelle je tombe sur son répondeur et personne d'autre ne me répond au téléphone. Sans gêne, j'essuie de la sueur imaginaire de mon front avec le dos de mes gants en faisant attention à bien tapoter doucement pour ne pas ruiner mon maquillage qui subit déjà de lourdes épreuves avec mon stress et mon visage fermé. Il commence à se faire tard et de là où je suis, près de la voiture simplement décorée, j'entends la foule murmurer à l'intérieur de la bâtisse. Ils parlent tous avec des multiples voix comme mon intérieur tordu par la pression. Je ne sais pas exactement ce qu'ils se disent et quant à moi, je m'empêche de tomber dans un état de psychose avancé.

Ma robe de mariée lèche le sol alors que je fais les cent pas, la salissant goulûment mais plus les minutes s'écoulent dans le sablier et moins j'en ai quelque chose à foutre. Comme si toute sa splendeur s'envolait avec le temps.

De coutume, être en retard est la signature de la femme et lorsqu'il s'agit d'une mariée et bien c'est pire. Elle arrive toujours en retard à cause d'un ongle mal fait, d'un sourcil qu'il fallait retracer ou d'une épingle qui ne tient pas dans ses cheveux. Il peut aussi arriver que le poids de la journée parvienne à la faire douter de sa décision.

La même personne... Pour toujours... Comment être à jamais certain d'un choix que nous faisons au présent ?

Pendant qu'elle tarde, pleure et s'empêche de s'arracher les cheveux, l'homme sue froidement devant l'autel, près du prêtre, en train de se demander si sa belle ne veut plus de lui. Il se rassure en se disant qu'elle l'aime, que c'est son amoureuse et qu'elle ne lui ferait pas une chose pareille. Il s'assure tout de même que son oncle médecin se trouve dans la salle au cas où il ferait une syncope. Après une attente interminable, la mariée finit par arriver et un seul regard sur son incroyable beauté ferait que cet homme attende cent ans de plus si c'était à refaire. Il la regarde venir vers lui et n'a qu'une hâte, entendre : « je vous déclare mari et femme » et avant même qu'il n'en ait reçu l'autorisation, il fourre sa langue dans la boîte à dents de sa fraîche épouse, se languissant d'une vie toute rose jusqu'à ce qu'elle flétrisse au bout de trois ans selon le livre Frédéric Beigbeder.

Moi aussi j'aspire à ce scénario directement tiré des telenovelas bons marchés qui font rêver toutes les jeunes filles mais aucun de ces feuilletons ne m'a jamais appris comment réagir face à mon cas actuel. Cela fait un peu plus de deux heures que je suis arrivé sur le parking de l'église, attendant mon fiancé qui n'arrive pas. A moins qu'il n'ait été victime d'un horrible accident, chose dont j'aurai certainement été informée, je pense qu'il ne viendra pas. Je pousse un rire nerveux en regardant mon adorable bague de fiançailles à mon annulaire gauche. Nous aurions dû être en train de nous apprêter pour la soirée en ce moment. Je suis en train de me faire planter le jour de mon mariage et un violent déni m'empêche de réellement sentir le poids de ce qui m'arrive. J'espère encore que c'est une blague, un canular de mauvais goût... Mais plus le temps passe et plus le silence me répond : je ne me marierai pas aujourd'hui. Jonathan ne viendra pas.

J'ouvre la portière et remonte dans la voiture pour m'asseoir sur la banquette arrière. Le chauffeur de la petite Chevrolet de location me regarde dans le rétroviseur et un frisson me parcourt l'échine, se mariant avec un courant d'air frais qui frappe la peau nue de mon dos. A son regard je sais qu'il sait. Tout le monde sait. Aucun homme ne ferait ainsi attendre sa future femme. Aucun homme digne ne laisserait la femme qu'il aime subir une telle humiliation.

Je baisse les yeux, contemplant les détails de ma robe. Elle est splendide. Je me suis regardée dans le miroir et je me rappelle que je suis vraiment magnifique. Je suis prête à me marier. Je suis prête à dire oui jusqu'à ce que la mort me sépare de cet homme. J'appuie sur le bouton de mon téléphone et je tombe nez à nez sur une photo de nous. Jonathan me tient dans ses bras alors que nous nous sourions amoureusement. C'est à cet instant que je réalise vraiment qu'il ne viendra pas. Jonathan ne viendra pas... Et tout le monde le sait. Mon souffle se bloque dans mon œsophage contracté et des années de ma vie défilent devant mes yeux dans un odieux kaléidoscope. Mes larmes arrivent très vite et bientôt, des gouttelettes viennent s'échouer sur la couleur blanche immaculée de ma robe. Une larme, puis une autre, puis encore une autre... Plusieurs cris font la queue dans ma gorge, se bousculant à toute vitesse pour avoir une chance de s'affranchir de mon corps. La chaire de poule s'étale sur ma peau et je me mets à trembler. Soit je fais une crise d'angoisse soit je suis en train de mourir. Je meurs... À cet instant précis je veux mourir car je ne suis pas certaine de pouvoir porter la douleur qui étreint mon cœur.

Burgundy ShadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant