18. ❆ Avalanche

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L'air statique et givré me transperce les poumons. J'ai l'impression d'inhaler des débris de verres tellement le frimas est épais. Dans l'obscurité de la nuit qui n'en a plus guère pour longtemps avant que le soleil ne revienne affirmer sa suprématie, Ajax et moi, parés de nos plus chauds manteaux, tentons l'escalade du Mont Kapa depuis des heures grâce à une flammèche de lumière invoquée avec mon Œil divin.

Nous savons que les sbires du duché Tarasov provoqueront une avalanche sur ce mont du côté de Sibarod, et il semblerait qu'ils prévoient d'agir dès les premières lueurs de l'aube. Si nous voulons être en capacité de les arrêter, nous n'avons eu d'autre choix que d'amorcer notre escalade quand le ciel était encore paré d'un collier nacré d'étoiles avec son plus beau joyau sorti de son écrin.

Dans d'autres circonstances, je n'aurais jamais accepté d'initier une ascension sans que les rayons de lumière vive de la journée n'accompagnent mes pas, car le Mont Kapa est l'un des endroits les plus dangereux de Snezhnaya. Avec son pic atteignant des altitudes inimaginables, rien que rejoindre la mi-hauteur sans tomber dans des crevasses camouflées ou sans déclencher d'avalanche relève du miracle.

Faire attention où je mets mes pieds est la principale pensée qui tourne en boucle dans ma tête. Un seul faux pas, et nous pourrions finir à l'article de la mort. Nos semelles épaisses recherchent des points d'appui solides, nos armes nous servent de stabilisateurs. Aucune astuce n'est de trop pour éviter de dégringoler la montagne sans retour vers le lendemain.

Finalement, nous arrivons sur une corniche à une altitude déjà conséquente. Depuis un moment, l'air s'est fait plus rare. Je sens mes membres s'alourdir et mon souffle se faire plus rapide. Quand j'étais partie pour vivre trois ans dans la nature, je m'étais déjà lancé le défi de gravir un bout de ce mont, ce qui me donne une première expérience de la baisse des pressions atmosphériques. Mais cette fois-ci, nous sommes allés plus haut que ce que ma jeune personne de dix-sept ans avait réalisé. La montagne nous fait connaître ses effets d'une manière intransigeante : supporte ou crève, tel est le message que Mère Nature veut nous faire parvenir.

Pour mon plus grand bonheur, je ne suis pas la seule à subir les affres de la haute altitude : la poitrine d'Ajax se lève et se baisse bien plus rapidement qu'à l'accoutumée, et je le vois froncer les sourcils tout en observant l'horizon, témoignage d'une migraine qui ne dit pas son nom.

Soudain, des rayons dorés commencent à teinter d'orange l'immaculé de la neige, à se refléter sur les grains cristallins de l'épais brouillard, illuminant d'une douceur diffuse la corniche sur laquelle nous sommes situés. Ajax et moi levons nos regards pour contempler le paysage qui se dévoile devant nos yeux enchantés. Le soleil nous fait grâce de ses premières lueurs, nimbant le monde d'un éclat aveuglant. Le frimas se diffuse subtilement, révélant la magnificence des panoramas montagneux. Des amas cotonneux et éthérés s'étendent à perte de vue comme si de la poudreuse s'était répandue dans la voûte céleste. Les quelques arbres supportant ces hauteurs souhaitent la bienvenue à ce réconfort qui tarde à revenir jour après jour.

L'horizon revêt des couleurs captivantes que seul un fou pourrait qualifier de mornes : le bleu de cobalt s'éclaircit pour virer un bleu céruléen éclatant, se partageant le ciel avec des teintes irisées de safran et d'incarnat. Les ombres se créent et s'étirent tandis que l'astre majestueux amorce son ascension vers l'hégémonie des cieux, éblouissant les êtres vivants de sa supériorité irrévocable, et nous rappelant à quel point nous sommes aussi insignifiants que des flocons de neige dans le paysage du monde.

— C'est vraiment magnifique... murmure Ajax si doucement que ses paroles ont failli être emportées par la brise frigorifique qui fait tituber la végétation éparse.

FR | Tomber les Masques | Childe x OCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant