Chapitre 18

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J'ai célébré hier, comme il se doit, le quarantième jour de la mort de Modou. Je lui ai pardonné. Que Dieu exauce les prières que je formule quotidiennement pour lui. J'ai célébré le quarantième jour dans le recueillement. Des initiés ont lu le Coran. Leurs voix ferventes sont montées vers le ciel. Il faut que Dieu t'accueille parmi ses élus, Modou Fall !
Après les actes de piété, Tamsir est venu s'asseoir dans ma chambre dans le fauteuil bleu où tu te plaisais. En penchant sa tête au-dehors, il a fait signe à Mawdo ; il a aussi fait signe à l'imam de la Mosquée de son quartier. L'Imam et Mawdo l'ont rejoint. Tamsir parle cette fois. Ressemblance saisissante entre Modou et Tamsir, mêmes tics de l'inexplicable loi de l'hérédité. Tamsir parle, plein d'assurance ; il invoque (encore) mes années de mariage, puis conclut : « Après ta "sortie" (sous entendu : du deuil), je t'épouse. Tu me conviens comme femme et puis, tu continueras à habiter ici, comme si Modou n'était pas mort. En général, c'est le petit frère qui hérite de l'épouse laissée par son aîné. Ici, c'est le contraire. Tu es ma chance. Je t'épouse. Je te préfère à l'autre, trop légère, trop jeune. J'avais déconseillé ce mariage à Modou. »
Quelle déclaration d'amour pleine de fatuité dans une maison que le deuil n'a pas encore quittée. Quelle assurance et quel aplomb tranquilles ! Je regarde Tamsir droit dans les yeux. Je regarde Mawdo. Je regarde l'imam. Je serre mon châle noir. J'égrène mon chapelet. Cette fois, je parlerai.
Ma voix connaît trente années de silence, trente années de brimades. Elle éclate, violente, tantôt sarcastique, tantôt méprisante.
— As-tu jamais eu de l'affection pour ton frère ? Tu veux déjà construire un foyer neuf sur un cadavre chaud. Alors que l'on prie

pour Modou, tu penses à de futures noces.
« Ah ! oui : ton calcul, c'est devancer tout prétendant possible,
devancer Mawdo, l'ami fidèle qui a plus d'atouts que toi et qui, également, selon la coutume, peut hériter de la femme. Tu oublies que j'ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l'on se passe de main en main. Tu ignores ce que se marier signifie pour moi : c'est un acte de foi et d'amour, un don total de soi à l'être que l'on a choisi et qui vous a choisi. (J'insistais sur le mot choisi.)
« Et tes femmes, Tamsir ? Ton revenu ne couvre ni leurs besoins ni ceux de tes dizaines d'enfants. Pour te suppléer dans tes devoirs financiers, l'une de tes épouses fait des travaux de teinture, l'autre vend des fruits, la troisième inlassablement tourne la manivelle de sa machine à coudre. Toi, tu te prélasses en seigneur vénéré, obéi au doigt et à l'œil. Je ne serai jamais le complément de ta collection. Ma maison ne sera jamais pour toi l'oasis convoitée : pas de charges supplémentaires ; tous les jours, je serai de "tour"{20} ; tu seras ici dans la propreté et le luxe, dans l'abondance et le calme.
« Et puis, il y a Daba et son mari qui ont montré leur capacité financière en rachetant tous les biens de ton frère. Quelle promotion ! Tes amis loucheront vers toi avec envie. »
Mawdo me faisait signe de la main :
— Tais-toi ! Tais-toi ! Arrête ! Arrête !
Mais on n'arrête pas une furie en marche. Je conclus, plus violente
que jamais :
— Tamsir, vomis tes rêves de conquérant. Ils ont duré quarante
jours. Je ne serai jamais ta femme.
L'Imam prenait Dieu à témoin :
— Quelles paroles profanes et dans des habits de deuil !...
Sans un mot, Tamsir se leva. Il comprenait bien sa défaite.
Je prenais ainsi ma revanche sur un autre jour où tous les trois
m'avaient annoncé, avec désinvolture, le mariage de Modou Fall et de Binetou.

UNE SI LONGUE LETTRE 🥺Où les histoires vivent. Découvrez maintenant