Chapitre 17

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J'ai raconté d'un trait ton histoire et la mienne. J'ai dit l'essentiel, car la douleur, même ancienne, fait les mêmes lacérations dans l'individu, quand on l'évoque. Ta déception fut la mienne comme mon reniement fut le tien. Pardonne-moi encore si j'ai remué ta plaie. La mienne saigne toujours.
Tu me diras : la vie n'est pas lisse. On y bute sur des aspérités. Je sais aussi : nul mariage n'est lisse. Il reflète les différences de caractère et de potentiel sentimental. Dans tel couple, l'homme est victime d'une volage ou d'une femme emmurée dans ses préoccupations propres, qui refuse tout dialogue et brise tout élan de tendresse. Dans tel autre, l'alcoolisme est la lèpre qui ronge santé, avoir, paix. Il met en scène le dérèglement de l'individu qu'il détruit, dans des spectacles grotesques qui sapent la dignité ; dans des drames où les coups de poings sont des arguments solides et la lame menaçante d'un couteau, un appel infaillible au silence.
Ici, règne l'appât du gain facile : joueurs incorrigibles des tapis verts ou assis à l'ombre d'un arbre. Atmosphère surchauffée des salles pleines de senteurs démoniaques, visages crispés des joueurs tendus. La valse satanique des cartes engloutit temps, biens, conscience et ne s'arrête qu'avec le dernier souffle de celui qui a pris l'habitude de les battre.
J'essaie de cerner mes fautes dans l'échec de mon mariage. J'ai donné sans compter, donné plus que je n'ai reçu. Je suis de celles qui ne peuvent se réaliser et s'épanouir que dans le couple. Je n'ai jamais conçu le bonheur hors du couple, tout en te comprenant, tout en respectant le choix des femmes libres.
J'ai aimé ma maison. Tu peux témoigner que j'en ai fait un havre de

paix où toute chose a sa place, crée une symphonie harmonieuse de couleurs. Tu connais ma sensibilité, l'immense amour que je vouais à Modou. Tu peux témoigner que, mobilisée nuit et jour à son service, je devançais ses moindres désirs.
J'ai composé avec sa famille. Malgré sa désertion de notre foyer, son père et sa mère, Tamsir son frère me fréquentaient toujours ainsi que ses sœurs. Mes enfants aussi grandissaient sans histoire. Leurs succès scolaires étaient ma fierté, autant de lauriers jetés aux pieds de mon seigneur.
Et Modou n'était pas prisonnier. Il usait de son temps comme il le voulait. Je comprenais fort bien son envie de défoulement. Il se réalisait au-dehors comme il le souhaitait dans ses activités syndicales.
J'essaie de traquer les faiblesses de ma conduite. Ma vie sociale aurait pu être tumultueuse et porter ombrage à Modou dans son destin syndical. Un homme trompé et bafoué par sa famille peut-il en imposer à d'autres ? Un homme dont la femme fait mal son travail peut-il sans honte réclamer une juste rétribution du labeur ? L'agressivité et la condescendance d'une femme canalisent vers son époux le mépris et la haine que sa conduite engendre. Avenante, elle peut rassembler sans aucune idéologie, des soutiens pour une action. Pour tout dire, la réussite de chaque homme est assise sur un support féminin,
Et je m'interroge. Et je m'interroge. Pourquoi ? Pourquoi Modou s'est-il détaché ? Pourquoi a-t-il introduit Binetou entre nous ?
Tu répondras, logique : les inclinations naissent de rien, parfois une grimace, un port de tête séduisent un cœur et le gardent.
Je m'interroge. Ma vérité est que malgré tout, je reste fidèle à l'amour de ma jeunesse. Aïssatou, je pleure Modou et n'y peux rien.

UNE SI LONGUE LETTRE 🥺Où les histoires vivent. Découvrez maintenant