Chapitre 4

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À la fin de la journée qui lui parut encore plus interminable et déprimante que d'habitude (le coup du ramassage de grenouilles avait failli l'achever), Alex se dirigea sans entrain aucun vers le local du rez-de-chaussée qui servait aux retenues. Il ne savait pas combien de temps il serait coincé. Probablement plus d’une heure. Il enviait les quelques élèves encore présents qui se dirigeaient vers la porte de sortie en bavardant ou en consultant leurs portables (ce qui rendait Alex encore plus jaloux, car il ne pouvait même plus s'occuper ainsi). Timothée, lui, avait fini à 16 h. Il avait consolé son ami d’une petite tape sur l’épaule accompagnée d’un laconique “pas de chance, vieux”. 

La salle de colle était une petite pièce sombre du rez-de-chaussée dont l'unique fenêtre était protégée par des barreaux, ce qui ne faisait que renforcer sa ressemblance avec une prison. M. Cotty était assis devant le bureau placé sur une estrade. Il était très affairé à griffonner quelque chose sur une feuille avec un stylo rouge. Alex dut frapper plusieurs coups contre la porte ouverte pour attirer son attention. Le CPE prit tout son temps pour lever les yeux, prenant visiblement plaisir à faire poiroter le jeune homme. 

— Ah, M. Godard, railla-t-il en rebouchant lentement son stylo, je suis heureux de voir que vous avez bien voulu m'honorer de votre présence. Dépêchez-vous de vous asseoir. Vous êtes à nouveau presque en retard. Que cela ne devienne pas une habitude. 

Alex poussa un discret soupir en franchissant le seuil en traînant des pieds. Il était déjà venu ici plusieurs fois, toujours pour des broutilles. La première fois, il avait été puni pour la simple raison de s’être présenté au lycée avec un jean déchiré - un accoutrement frivole inacceptable, selon M. Cotty. Sa mère avait été furieuse de cette injustice. Elle avait voulu écrire au proviseur, au recteur d'académie et même à la ministre de l'éducation nationale, mais Alex l'avait suppliée de ne rien en faire. Il avait horreur d'attirer l'attention sur lui. Et il doutait fortement que la ministre aurait quelque chose à faire de lui. À la place, il avait rangé son jean au fond d’un placard pour le réserver pour les jours de week-end et de vacances. 

Le jeune homme passa devant l'armoire dans laquelle le CPE faisait disparaître les nombreux objets interdits qu'il confisquait. C'était l'une de ses activités favorites et les élèves apprenaient vite à ne rien avoir dans les mains lorsque M. Cotty apparaissait. Tout matériel sortant du strict cadre scolaire pouvait être pris pour cible. Alex avait ainsi perdu un boomerang acheté avec ses maigres économies qu’il avait brièvement sorti de son sac pour le montrer à Timothée. Comme s’il avait eu envie de le lancer contre une vitre ! Il n’avait même pas eu l’occasion de l’essayer alors qu’il en rêvait depuis des jours… 

Alex posa son sac sur la table la plus proche de la fenêtre, même s'il faisait nuit noire depuis longtemps et qu'il ne pourrait pas tirer un quelconque réconfort de la vue. Il était apparemment le seul élève collé, car toutes les autres places étaient vides. 

Le CPE le fit sursauter en laissant tomber un énorme volume devant lui qui s'écrasa sur la table dans un bruit tonitruant. C'était le règlement intérieur du lycée, à en croire ce qui était écrit sur la couverture en carton rouge. 

— Sortez une double feuille pour recopier cet ouvrage admirable, ordonna M. Cotty. Cela vous permettra peut-être d'avoir une meilleure connaissance des règles de base d'une bonne conduite. Si du moins votre cerveau est capable d’enregistrer de telles informations. 

Alex observa la pavé avec de grands yeux effarés. 

— Je dois recopier tout ça ? s'inquiéta-t-il en sortant un morceau de papier pas trop froissé. 

Il allait en avoir pour des heures ! Non, des jours ! 

Les lèvres du CPE s'étirèrent très légèrement. Il semblait très satisfait de l’effroi du jeune homme. 

Alex ou le portable merveilleux (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant