Chapitre 4.

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Dans les derniers mois du règne de Tibère, Caius Caligula, quoique le plus souvent retiré à Capri au chevet de son grand-oncle, parvient néanmoins à sortir de son isolement pour préparer son avenir en nouant quelques relations fort précieuses.

Le prince Iduméen Hérode Agrippa, petit-fils d'Hérode le Grand, était venu à Rome pour dénoncer son oncle Hérode le Tétrarque devant le tribunal impérial. N'obtenant pas satisfaction auprès du vieux Tibère, il fait sa cour à son héritier Caligula et devient son ami. Un soir, lors d'un banquet bien arrosé, il formula à haute voix un souhait : "Je prie chaque jour, dit-il en substance, pour que l'éclatant soleil de Caligula éclaire enfin le monde et que l'on porte à six pieds sous terre le vieux débris qui n'en finit pas de pourrir à Capri !". On le devine, ces propos imagés ne furent pas du goût dudit vieux débris : Hérode Agrippa s'en alla épouser les geôles impériales. Régime strict, eau d'amertume et pain de tribulations !

Il demeura six mois en prison. Le temps que son vœu se réalise, que Tibère meurt et que Caligula, devient empereur. Avec une intelligence confondante pour un jeune homme qui n'avait, jusque-là, occupé aucune fonction politique, Caligula parvint aussi, dans les derniers mois du règne de Tibère, à entrer dans les bonnes grâces du deuxième personnage de l'État, le tout-puissant Préfet du Prétoire Macron. Cela dit, Caius séduisit sa femme, lui promettant même de l'épouser s'il parvenait au trône.

Quoi qu'il en soit, et quelles que fussent les méthodes employées, quand Tibère expira enfin, Caligula accéda au pouvoir suprême. À les en croire, Caius et Macron, réunis au chevet d'un empereur qui ne se décidait pas à mourir, auraient vainement tenté d'ôter l'anneau impérial de l'auguste doigt. Constatant alors que le moribond Tibère respirait encore et résistait, les deux acolytes l'auraient étranglé après l'avoir étouffé sous un coussin.

Durant les huit premiers mois de son règne, Caligula gouverna sagement. Quittant Capri où le vieux Tibère venait de rendre l'âme, il se rendit d'abord dans les îles de Pandataria et de Pontia où il recueillit les cendres de sa mère et de son frère. Ensuite, il gagna Rome où il prononça l'éloge funèbre de l'empereur défunt, promis de gouverner avec le Sénat, brûla publiquement toutes les lettres de délateurs, et ordonna de grandes fêtes, histoire de ragaillardir le peuple et d'asseoir sa popularité. Après la terreur des dernières années de Tibère, l'Empire respirait à nouveau...

Ça ne dure pas ! Caligula tombe gravement malade en automne 37 et l'année suivante, il est complètement incontrôlable. Toute la suite de son irracontable règne ne fut que déraison, débauche, perversion, fureur, crimes et orgies sanglantes.

En l'absence de toute source historique fiable, il est assez difficile de comprendre ce que fut réellement le "Principat" de Caius.

Certes, les historiens antiques relatent, parfois même par le menu, nombre d'actes du jeune empereur... Mais comme le Caligula qu'ils nous décrivent est réputé fou, toutes ses initiatives nous paraissent automatiquement marquées du sceau de la démence ! D'autant plus que les écrivains antiques ne mentionnent jamais les motivations du quatrième césar. Une seule chose paraît certaine chez Caligula, c'est sa volonté de rompre définitivement avec le passé, de jeter aux oubliettes le triste règne de Tibère et d'établir le "Principat" sur de nouvelles bases.

Or, le Principat, ce régime politique qu'Auguste avait substitué à la République sénatoriale, n'était rien d'autre que la réunion de pouvoirs de natures variées entre les mains d'un seul homme : pouvoirs militaires, populaires, sénatoriaux et sacerdotaux. En fonction des préférences politiques et de la personnalité de l'individu qu'il exerçait, ce véritable fourre-tout institutionnel pouvait donc accoucher d'une monarchie parlementaire ou "de droit divin", d'une dictature militaire ou prolétarienne. Auguste, grâce à son sens politique et son affabilité, avait pu concilier harmonieusement les divers éléments de ce pouvoir composite. Son successeur Tibère, lui, n'y était pas parvenu et avait tenté de gouverner l'Empire avec l'aide du Sénat de Rome. Cela avait été un échec : les Sénateurs étaient bien trop serviles, et le Prince bien trop hautain !

Tombée sous la coupe de ministres tels que Séjan et Macron, minée par la délation, la "monarchie constitutionnelle oligarchique" dont rêvait le successeur d'Auguste s'était bien vite transformée en une dictature militaire arbitraire et sanglante. Caligula, lui, tira la leçon de l'échec de Tibère.

Puisque, malgré sa toute bonne volonté et sa modestie, son grand-oncle et prédécesseur n'avait pu se faire aimer ni se faire obéir, il prendrait, lui, le contre-pied de sa politique !

C'est sans doute aussi à cette volonté de transformer le "Principat augustéen" en une monarchie absolue et divine qu'il faut relier ces amours incestueuses de Caligula avec sa sœur Drusilla.

Peut-être Caligula voulut-il imiter les mariages consanguins des pharaons égyptiens sous les conseils de sa sœur Agrippine la Jeune. C'est possible.

Si Caligula avait réellement été le dément hystérique et pervers que ce bon Suétone dépeint à longueur de pages, il serait sans doute parvenu à imposer son régime de terreur pendant quelques mois, mais cela n'aurait guère duré. Peut-être le peuple se serait-il accommodé du comportement dépravé de ce Princeps aussi libidineux qu'incestueux - quoiqu'en général les gens réprouvent toujours davantage l'immoralité de leurs dirigeants que leurs propres fredaines. Mais les soldats, eux n'auraient pas fait preuve d'une telle patience ! Par nature dépourvus de tout sens de l'humour, ils n'auraient pas supporté bien longtemps les caprices d'un commandant en chef plus digne de la camisole de force que de la pourpre impériale. Inéluctablement, le règne de ce Caligula caricatural se serait terminé par une révolte populaire ou un coup d'état militaire, par une révolution dans le genre de celle qui, deux siècle plus tard, sera fatale à l'insane Elagabal, ou par un putsch militaire comparable à celui qui porta au pouvoir le sauvage Maximin le Thrace.

Or, la fin du règne de Caligula ne respecte pas ce scénario logique ! Malgré sa prétendue "folie", le César Caius resta toujours incroyablement populaire. Le peuple de Rome, l'idolâtrait et l'affection des soldats envers leur jeune Imperator, fils du grand Germanicus, ne se démentit jamais. Au bout de quatre années de règne, pas de moindre signe d'exaspération populaire ni de grogne militaire.

Mais si le peuple et l'armée n'avaient pas à se plaindre de Caligula, les Sénateurs, eux, commençaient assez, du fils de Germanicus ! Leurs privilèges aristocratiques, déjà sérieusement écornés par Auguste puis par Tibère, menaçaient d'être anéantis par ce jeune "Princeps" qui ne faisait pas mystère de ses prétentions à la royauté et qui voulait régner seul, sans aide ni conseil ne personne. À son retour de Germanie, Caligula n'avait d'ailleurs pas fait proclamer urbi et orbi qu'il ne revenait que pour le peuple et qu'il gouvernerait désormais sans se soucier du Sénat. Comme les patriciens, tremblant autant pour leur vie que pour leurs prérogatives, n'osaient conspirer ouvertement contre l'empereur, ils soudoyèrent quelques soldats mécontents, en particulier Cassius Chærea, un officier de la garde prétorienne. Aux dires de l'ineffable Suétone, Chærea haïssait Caligula parce que ce soi-disant fou vicieux d'empereur lui reprochait sa mollesse et ses mœurs efféminées...

Le 24 janvier 41 vers midi, l'empereur, revenant d'un spectacle, se retrouva, comme à l'improviste, entouré de sicaires armés jusqu'aux dents. Chærea et ses complices passaient à l'action : "Les uns disent que, pendant que l'empereur parlait à ces jeunes gens, Chærea l'avait grièvement blessé à la nuque du tranchant de son glaive, en criant : "À moi !", qu'aussitôt Cornelius Sabinus, le second des tribuns conjurés, lui avait percé le cœur. D'autres prétendent que Sabinus, ayant fait écarter la foule par des centurions qui étaient du complot, lui avait, selon l'usage militaire, demandé le mot d'ordre, et que Caius ayant répondu "Jupiter", Chærea s'était écrié : "Le voici !" et, comme le prince se retournait, il lui avait brisé la mâchoire. Renversé par terre et se repliant sur lui-même, il criait qu'il vivait encore ; mais les autres conjurés lui portent trente coups, selon le mot de ralliement : "Redouble". Quelques-uns lui enfoncèrent l'épée dans les parties honteuses".

Cæsonia, la fidèle épouse de Caligula, fut exécutée peu après son cher époux. Leur petite fille Claudia, elle, fut sauvagement écrasée contre un mur.

A Travers Le Temps. Tome 6. L'Âge de Rome.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant