Vingt-et-unième tatouage

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Je dépose mon sac à dos sur le banc en pierre et cherche un instant Tiago du regard, avant de le voir glisser le long de la paroi, les pieds dans des rollers. Ma planche à mes pieds, je ne le quitte pas des yeux, lui et son corps qui se mouvent sans problème dans la crevasse du parc. Il monte les bosses, se stabilisent après avoir ridé sur les barres métalliques, esquive une gamine avec un garçon qui lui tient la main, puis revient vers moi, fier. Son sourire en est la preuve.

Il remonte la pente et j'attrape son bras lorsqu'il le tend vers moi pour l'aider à me rejoindre, en hauteur.

— Alors ?

— Pourquoi tu m'as caché ce talent ? je réplique. C'est le roller qui te fait des fesses d'enfer.

— C'est possible, rit-il en tirant ma gourde du sac. A ton tour, je te regarde.

Je pousse sur le bord de ma planche et surplombe alors la pente du bowl. Je ne fais pas du skate pour les figures, je suis bien loin de ce niveau. J'aime juste la sensation de liberté, l'air contre ma peau, l'équilibre que ça donne à mon esprit qui le tire de mon corps.

Un coup au sol et je m'élance. Je fais un tour, redonne de la puissance à ma planche avant de reposer mon pied dessus. J'évite les gens, je roule, je savoure l'adrénaline qui me parcourt, la chaleur qui me traverse. Le soleil tape un peu moins fort en cette fin de journée mais on est mi-juillet, alors il reste étouffant. Je suis obligé de m'arrêter quand ma gorge me brûle et je rejoins Tiago sans son aide. Ça le fait grimacer lorsque je me plante devant lui, main tendue vers la bouteille.

— Tu la racontes pas trop, râle-t-il. Je pourrais faire pareil mais on est moins stable sur les rollers, en pente.

— Menteur, tu viens de me faire une démo de saut.

— Touché.

— Un clope ? je souffle en lui tendant mon paquet. T'as oublié les tiennes, non ?

— Exactement, sourit-il mais je hausse un sourcil. Attends, oserais-tu dire que je les ai laissé sciemment à l'appartement pour te taxer ?

— Ouais. Je le confirme, même.

— Je suis vexé.

Comme une diva, il pose une main sur son cœur mais il n'a aucun scrupule à me prendre une cigarette. Il l'allume rapidement dans un rire quand j'enfonce mon pied dans son tibia. C'est un enfant. Je devrais laisser son chat jouer avec Batman et Robin, pour lui faire payer son comportement. Sauf que c'est un exploit que les deux poissons soient toujours vivants, Tiago en était carrément fier lorsque je l'ai rejoint, dans la matinée.

— T'as toujours fait du skate ? lance-t-il en recrachant la fumée alors que son pied se pose sur ma planche.

— C'est Tilla qui m'a appris vers mes dix ou onze ans, je ricane. Elle en fait depuis quasiment toujours, je crois qu'elle a commencé à six ans ?

— Si tôt ?

— Ouais, elle déteste le vélo donc mes parents lui ont fait essayer les rollers, les patins, le skate. Pour le coup, une fois sur la planche, elle a aimé ça.

— Pourquoi je l'ai jamais vu en faire ?

Je hausse les épaules en tirant sur ma cigarette.

— Elle n'en fait pas dans la ville, juste dans les skate-park ou les bâtiments adaptés.

— Et toi ?

— J'en fais moins qu'avant, je soupire en posant mon pied contre le sien. Vu que je l'accompagne plus trop, j'ai quasiment arrêté. Ça me manque, j'aime les sensations que ça me fait ressentir.

— D'où le tatouage.

Tiago se penche vers ma jambe posée sur la planche et son index tapote mon mollet alors qu'il sourit en croisant mon regard. Forcément.

— Pourquoi il y a une clope aussi ?

— Fume avant que la vie te fume.

Et il explose de rire, cet enfoiré. Je grimace en repoussant sa main contre ma peau d'un mouvement.

— Putain, c'est tellement cliché !

— Ça va, je rougis en secouant ma clope. Ça sonnait bien.

— Je vais mourir de rire, geint-il en serrant son torse d'un bras. J'ai si honte d'être amoureux de toi maintenant.

— Oh, c'est bon ! J'étais plus jeune !

— Fume avant que la vie te fume, m'imite-t-il au milieu de ses rires. Que c'est nul !

Je ne croyais pas que mon visage pouvait chauffer plus que maintenant et pourtant, je prends littéralement feu. Mes yeux fouillent les alentours à la recherche d'un endroit où me cache, ou de la meilleure façon de le faire taire, mais je ne trouve rien. Des gens nous jettent des coups d'œil et je cogne son genou du mien pour attirer son attention. Sauf que ses yeux se posent sur mon mollet et il rit plus fort, les larmes qui roulent sur ses joues.

Même si j'adore son rire, je rêve de le faire taire, maintenant.

— Je me tire si tu t'arrêtes pas !

— J'espère que tu as une autre explication, pour les autres, s'étouffe Tiago et je le foudroie du regard. Mon dieu, je m'attendais tellement pas à ça !

— T'es si méchant, je grogne en tapant ma clope pour faire tomber les cendres. C'est la dernière fois que je te parle de mes tatouages !

— Hors de question, il en reste trois !

Je me fige, étonné, alors qu'il arrête enfin de rigoler. Son sourire est toujours placardé sur ses lèvres et ses doigts s'enroulent autour de mon poignet. Il me faut quelques secondes pour réagir et je bégaie un instant avant de trouver mes mots.

— Trois tatouages ?

— Je les ai comptés, affirme Tiago comme un gosse. Donc tu ne m'auras pas.

— Mais... Attends, je soupire en secouant la tête. Je crois que je réalise pas un truc.

— Quoi ?

Il fronce les sourcils et je me pince les lèvres tout en laissant mes yeux parcourir son visage. Vingt-et-un tatouage, un à chaque journée qu'on a passé ensemble, quasiment. Tout autant de temps pour commencer à l'apprécier, développer des sentiments puis en tomber amoureux. Ça a été rapide, au final. Avril à juillet, quelques sorties, des rencards, des journées enfermées à profiter de l'autre et aujourd'hui, il fait partie de ma vie.

— Tu comptes m'expliquer ce qu'il se passe ? souffle Tiago en attrapant ma cuisse pour me glisser entre ses jambes.

— Il nous a fallu quatre mois pour en arriver là, et c'est parce que tu as voulu savoir pourquoi je me suis autant tatoué.

— Tu me plaisais déjà avant, je te rappelle.

— Ouais mais... je bafouille alors que mes doigts passent dans ses cheveux. Tu ne serais pas venu, tu ne m'aurais pas taclé sur mes tatouages, on ne serait surement pas ensemble.

— Mais c'est ce qui m'a d'abord attiré, tes tatouages, murmure Tiago. Et ta belle gueule, tes fesses, ton petit sourire.

— C'est bon, tais-toi.

Il rit quand je me penche pour lui voler un baiser. Nos lèvres ont le goût de la cigarette, ses mains sont brûlantes sous mon débardeur, mon cœur est soulagé, ses battements résonnent dans ma poitrine avec douceur, sécurité.

Le temps a défilé si vite mais je ne regrette pas un seul instant d'avoir foncé, accepté de lui raconter ma vie. Tiago est devenu important, tellement important que je ne me vois pas continuer sans lui, aujourd'hui.

Mes mains se referment sur ses joues, les siennes se serrent sur mes cuisses et je profite de ses lèvres, de cette chaleur qui me consume, de ce bonheur qui irradie à l'intérieur de moi. J'y goûte, je le garde précieusement, parce qu'il m'avait manqué, ce sentiment de plénitude, de tranquillité.

Les seules autres personnes à me l'avoir offrir continuent leur chemin sans moi : l'une en prison, l'autre à quelques jours de se marier et de fonder sa famille. Si j'en veux à l'un, je suis heureux pour l'autre. Mais au milieu, je ne pensais pas trouver ma place, jusqu'à Tiago.

24Où les histoires vivent. Découvrez maintenant