2| Il s'appelait Loni

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Je n'avais pas beaucoup d'amis en sixième et en cinquième. Je traînais avec des gars un peu bêtes, mais c'était pour sauver les apparences, parce que ceux qui restaient seuls, que ce soit par choix ou après un rejet de la majorité, étaient systématiquement catégorisés comme des parias du collège. Je voulais juste qu'on me fiche la paix et pour ça, je devais rester avec des mecs comme Kilian, Enzo et Julien qui ne parlaient que de meufs et de sexe. C'était vraiment de gros obsédés, et comme je ne m'étalais jamais trop sur ces sujets, ils se permettaient de me faire des remarques du style : « bah alors, Martin, t'aime les bites ou quoi ? ». Ça me mettait toujours dans une rage incontrôlable et la conversation finissait en insultes et doigts d'honneur. On ne me traitait pas de pédé. Jamais. Ce mot à lui seul me souillait d'une crasse tellement immonde que j'étais prêt à me battre si mes potes continuaient à plaisanter là-dessus. Même s'ils étaient stupides, ils ont fini par le comprendre et pensaient simplement que j'étais trop prude pour rigoler à leurs blagues de cul.

C'est à partir de la quatrième que tout est parti en vrille. Premier septembre, c'était la rentrée, je ne connaissais personne dans ma classe. Je me suis assis au hasard, sur la première chaise du fond qui s'est présentée. La place voisine n'était pas inoccupée, il y avait quelqu'un. Un type. Un mec. Un garçon. Son visage me revenait, je l'avais déjà vu à l'église. Il avait la peau brune, des cheveux frisés et portait un vieux pull rose fuchsia. Drôle de style, quand même. Il m'a jeté un rapide coup d'œil avant de se retourner et d'ignorer ma présence. Quand le prof principal a fait l'appel, il a levé la main au prénom « Loni ». Sérieux, qui appelle son gosse comme ça ? J'ai eu l'impression qu'il a lu dans mes pensées car il m'a lancé un regard méfiant. Qu'est-ce qu'il a l'air agaçant, ce mec... Sourire un peu ça lui arracherait les joues ?

La semaine s'est enchaînée, les cours aussi. Il se trouve que le fameux garçon au pull moche était un vrai génie en maths et en science. Il ne prenait presque jamais la parole, sauf quand les profs l'interrogeaient parce qu'ils savaient que personne d'autre que lui n'avait la réponse. Il parlait peu, mais quand il parlait, c'était... c'était agréable, je dirais. Sa voix était agréable à entendre. Enfin... je pensais ça parce que je m'ennuyais en cours, le regarder, c'était juste un moyen comme un autre de passer le temps.

Le dimanche, comme je l'avais prévu, on s'est croisé à la messe. Il était avec sa mère, une petite dame aux yeux gonflés et aux mains calleuses, et sa sœur qui n'était qu'une sorte d'ombre au cheveux emmêlés. Il se tenait debout entre elles, comme un soutien. Par curiosité, après la cérémonie, je suis allé questionner le prêtre à propos de cette famille. Dès qu'il a compris de qui je parlais, il a poussé un soupir désolé.

─ Ah, la famille Kancel... Ce sont de très bons chrétiens, mais aussi des âmes en peine. La mère traverse une période difficile, c'est pourquoi elle se recueille régulièrement auprès du Seigneur.

─ Mon père, que savez-vous des enfants ? Le fils, surtout. Il est dans ma classe.

─ Oh, tu parles de Loni ! s'est-t-il exclamé avec un grand sourire. Un garçon adorable, très dévoué envers Dieu et sa famille. Il s'est certes détourné un instant du droit chemin mais sa mère m'a assuré qu'il travaille ardemment à laver son péché.

─ Quel péché ?

─ Je n'ai pas le droit de t'en parler, mon garçon, cela reste entre Dieu et lui. Quoi qu'il en soit, le Seigneur le guide, tu n'as pas à t'en faire pour tes fréquentations.

Le lendemain, j'ai continué à l'observer. Quel péché avait-il pu commettre ? On fait tous des erreurs, c'est vrai, mais pour que le prêtre s'en souvienne, ce devait être assez grave. Si ça se trouve, il avait volé quelque chose, avec sa tête de délinquant. C'est ce qu'avait dit mon père en le voyant à la messe, « ce garçon a une tête de délinquant, encore un immigré, tiens ! ». Quand même, il était super intelligente et habile avec la langue française pour un immigré. Enfin ce n'était pas vraiment une bonne chose : ça voulait dire qu'il allait nous voler nos emplois.

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant