4| Le loup et l'agneau

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Le soir, quand je suis rentré, je n'ai pas réussi à regarder ma famille dans les yeux. J'avais peur qu'ils devinent, qu'ils lisent dans mon regard ce que j'avais fait. C'était stupide, je sais. Et pourtant, chaque fois que mon père me parlait, ma jambe tressautais sous la table. Le souvenir de sa gifle tournait en boucle dans ma tête, puis mon cerveau se chargeait d'imaginer la suite : hurlements, coups de ceintures, papa qui me jette dehors en pyjama sous la pluie et maman qui appelle la paroisse pour trouver quelqu'un qui puisse me soigner. Je préférais de loin ça aux coups, un traitement. Je voulais en avoir un plus que tout, mais il était hors de question que j'en parle à ma mère, elle allait forcément le dire à mon père parce qu'elle était sous son emprise, elle l'a toujours été. Je n'avais plus qu'à faire mes recherches moi-même.

« Traitements contre l'homosexualité »

Et c'était parti. Je me retrouvais à faire une série d'étapes plus ou moins désagréables pour tenter de me débarrasser de ce mal qui habitait en moi. Je me suis procuré des huiles essentielles que j'ai inspiré en répétant la phrase : « va-t-en, démon de l'homosexualité ». Un jour où j'étais seul à la maison, j'ai fabriqué deux kilos de glaçons que j'ai versé dans un bain d'eau froide, puis j'ai immergé tout mon corps dedans comme c'était indiqué sur le site. J'ai même plongé ma tête et je me suis mis à hurler sous l'eau pour « extérioriser le mal ». C'était horrible mais j'ai tenu bon. Quand je suis ressorti, ma peau était légèrement bleutée mais je croyais que j'allais merveilleusement mieux. Enfin jusqu'à ce que je repense à ce bâtard de Kancel et que je m'aperçoive que non, j'étais loin d'être guéri. Alors j'ai continué. J'ai regardé du porno en cachette et j'essayais de ressentir quelque chose en me concentrant sur la femme. Quand mes yeux déviaient un peu trop vers l'homme, je me giflais. J'apprenais comme ça, j'assimilais cette douleur au fait de regarder les hommes, et ça marchait je crois. À la fin du film, mon lit était bien jonché de mouchoirs, mais des mouchoirs ensanglantés parce que mon nez n'arrêtait pas de saigner à force de me gifler. Cependant je croyais que j'allais mieux après, c'était le plus important.

J'ai pensé à aller me confesser pour que Dieu me pardonne, afin de « se sentir plus léger et lavé de ses péchés » comme disait ma mère. Mais je n'osais pas, la peur me paralysait chaque fois que j'y pensais. Le formuler à l'oral, c'était rendre concrète cette abomination. Son existence dans ma mémoire m'était déjà insupportable, alors savoir le prête au courant m'aurait été tout bonnement, affreusement invivable. Mais une autre chose me tracassait : et si Loni Kancel lui en parlait ? S'il citait mon nom, s'il lui révélait tout ? Non, non... Ce n'était pas lui qui avait péché techniquement. Et puis même s'il le disait, le prêtre n'aurait pas le droit d'en parler à mes parents. Enfin, mieux vaut être sûr qu'il ne dise rien à personne. Lui rajouter une couche de menaces, un nouveau coup de pression. C'était ça, la solution.

On venait de sortir de cours de physique-chimie. Il tenait son contrôle corrigé dans sa main, l'air satisfait de son travail. Je l'ai suivi jusqu'à ce qu'il n'y ait personne dans les alentours et je l'ai violemment poussé contre un mur. Il a lâché un râle de douleur mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, j'ai plaqué ma main contre sa bouche et lui ai arraché sa feuille.

─ Dix-neuf et demi, ai-je lu sur la copie, « Travail presque excellent, dommage qu'il ait eu une erreur d'inattention sur une conversion ». Ben oui, comme c'est dommage, Kancel... et tu sais ce qui est drôle avec cette phrase ? C'est que l'erreur de conversion, c'est toi. Incapable de te convertir en un vrai mec qui ne suce pas d'autres mecs.

─ Je ne suis pas le seul à être une erreur alors.

Je l'ai attrapé d'une main par le visage et je l'ai menacé de mon poing, tremblant de rage. Ma réplique était articulée, grondante, terrifiante :

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant