1| Vrais et faux garçons

106 9 49
                                    

(Crédit de l'image : Emma Sullivan, https://efsartstudio.com/)

_______________________________________

Quand j'étais petit, papa me disait souvent : « Martin, pisse debout, t'es pas une fillette ». C'est vrai que se tenir sur ses deux jambes, grand, fier pour uriner, c'est vachement plus masculin qu'assis, la queue entre les cuisses. Peu de gens s'en rendent compte, mais pisser debout pour un garçon marque le début de l'affirmation de sa virilité. Après cette première étape, mon père m'a traîné au terrain vague pour que je shoote dans un ballon avec toute la force d'un garçon. Lorsque je me roulais dans la boue et m'égratignais les genoux, il disait aux autres papas : « ça, c'est mon fils ! » et j'étais si fier qu'il soit fier de moi.

Puis, en grandissant, il a commencé à me demander si j'avais une « petite dans le viseur ». C'est l'expression qu'il utilisait, ça, « petite dans le viseur » pour parler des filles. Le lundi, je répondais « Clara », puis le vendredi « Justine ». Il était content quand je changeais de « petite » dans une même semaine, parce que ça voulait dire que j'étais « un vrai tombeur ». En réalité, je n'avais jamais eu d'amoureuses, parce que les filles ne m'intéressaient pas... Enfin, pas dans ce sens-là ! Les filles ne m'intéressaient pas parce que je les trouvais stupides. Non mais franchement, me disais-je, il faut vraiment être le sexe faible pour pisser assis. Et puis elles sont moins fortes, moins capables que les hommes. Regardez, c'est toujours mon père qui dit des trucs intelligents, alors ma mère, elle, ne parle jamais. C'est parce qu'elle n'a rien à dire, elle est juste trop bête pour intéresser qui que soit et elle le sait, voilà pourquoi elle laisse toujours la place à papa. Son rôle à elle, c'est juste cuisiner et porter ma petite sœur dans son gros ventre.

Un jour, j'ai demandé à mon père ce que devenaient les garçon qui ne réussissaient pas à faire pipi debout. L'air intelligent et sûr de lui, il m'a répondu :

─ Eh bien c'est très simple, Martin : ces gars-là deviennent des pédés, ou dans le pire des cas, des transsexuels.

Je lui ai alors demandé ce que voulait dire ces mots.

─ Un pédé, c'est un homme qui... qui joue le rôle de la femme avec un autre homme dans une relation intime.

─ Ah... mais ça veut dire qu'ils s'embrassent ?

─ Oh, ils font bien plus que juste s'embrasser... ils commettent un terrible pécher, celui de la luxure.

─ Argh... C'est dégueu !

─ Eh oui, mon garçon. Mais les pires, ce sont les transsexuels : eux, ce sont des hommes déguisés en femmes qui veulent se couper le zizi !

Ce que me racontait mon père avait l'air vraiment immonde et terrifiant. Alors à l'école, je notais les mecs qui allaient aux urinoirs, et les autres, je les traitais de pédé ! Quand je leur expliquais ce que ça signifiait, ils étaient tout aussi dégoûtés que moi et ont pris ce mot comme une terrible insulte. C'était pire que se faire traiter de fille, parce qu'un pédé, en plus d'être un mec qui agit comme une gonzesse, c'est un « bandeur d'hommes » ! L'injure a tellement tourné dans l'école que la maîtresse a été mise au courant et nous a tous engueulé une fois en classe :

─ Vous ne vous rendez pas compte des mots que vous employez, ils sont très méchants et blessants pour certaines personnes. Un garçon a le droit d'être amoureux d'un autre garçon, ça n'a rien de dégoûtant et vous lui devez le respect comme à n'importe qui d'autre.

Parce qu'on a tous hué, on a eu à recopier cinquante fois : « je dois respecter les homosexuels ». Quand mon père a vu ça, il a traité la maîtresse de « grosse conne ».

À neuf ans déjà, tout était clair dans ma tête. Les vrais garçons sont ceux qui pissent debout, qui sont forts en sport et qui embrassent des filles même si ce sont des grosses connes. À l'inverse, les pédés, ce sont des faibles qui pissent assis, qui ont une voix et une démarche de fille et qui bandent sur d'autres garçons. Oui, tout était très clair : il n'y a rien de pire sur Terre que d'être un pédé.

_______________________________________

J'avais prévenu, ça annonce la couleur :')

J'insiste sur le fait que si de tels propos vous mettent très très mal (bien sûr ça met mal tout le monde, mais si ça vous met mal à un degré vraiment élevé...) NE VOUS FORCEZ PAS À LIRE ! Le but n'est absolument pas de réveiller des traumas dooonnc écoutez-vous et prenez soin de vous ♡

À part ça, nous sommes je pense tous d'accord pour cracher au visage du géniteur de Martin qui a eu la merveilleuse idée d'éduquer son fils dans la haine de l'autre et de soi-même :)

Si vous avez l'esprit bien accroché, on se retrouve dans le prochain chapitre ! Je vous remercie pour votre lecture.

À bientôt !
MayaOnyx

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant