11| Caché sous le tapis

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Il ne m'impressionnait pas, non. Son air brutal ne changeait rien pour moi. J'allais continuer à le martyriser, comme avant. Oui, ce n'était qu'une carapace qu'il suffisait de percer. Je l'avais déjà fait, je pouvais recommencer. Au fond, Loni Kancel restait un sale pédé fragile. Il ne pouvait pas se transformer radicalement après le décès de sa mère.

C'était ce que je me répétais depuis la rentrée en première, mais chaque fois que je me confrontais à lui, il détruisait mes espoirs d'un regard, d'un mot, d'un geste nouveau et surprenant.

─ Dégage de mon chemin, Dulard.

─ Comment tu me parles, petite merde ? T'as pas compris que...

─ Je te parle exactement comme tu le mérites. Maintenant casse-toi, sinon je vais hausser la voix.

C'était une de ses nouvelles techniques pour que les personnes autour se retournent et s'intéressent à nous. Au lycée, les gens n'agissaient pas de la même façon qu'au collège. Ils osaient se mêler de ce qui ne les regardent pas, ils étaient prêts à jouer les justiciers pour servir cette noble cause qu'est « la lutte contre le harcèlement scolaire ». Mais ces inconnus ne connaissaient rien de ma vie, de mes raisons, de ce qu'il s'était passé entre nous. Ils ne pouvaient pas me comprendre. Personne ne le pouvait.

J'avais donc de plus en plus de mal à l'atteindre. Il s'était dégoté un pote, ou une, j'en savais rien. La personne avec qui il traînait ne ressemblait ni à une fille, ni à un garçon. Encore une nouvelle invention de ces putains de LGBT. Quoi qu'il en soit, la présence de l'autre trans m'empêchait de m'approcher de Kancel. Je ne sais pas ce qu'il lui avait raconté sur moi, mais une chose était sûre, son ami me détestait, et c'était réciproque. Un jour, alors que je terminais tranquillement de manger mon sandwich à la cafétéria, elle (parce que franchement, si c'était un mec, il aurait au moins un peu de prestance), elle est venue me chercher des problèmes avec ses airs de chihuahua enragée.

─ C'est quoi ton soucis avec Loni ? a-t-elle commencé comme un aboiement. Il t'a fait quoi, hein ? Rien du tout, je pense. T'es juste qu'un putain d'homophobe, raciste, harceleur et j'en passe. Il ne veut pas demander de l'aide, parce que selon lui ça ne sert à rien, mais moi je vais le faire. Je vais te dénoncer, tu m'entends ? Pour tout ce que tu lui...

─ Okay, super, t'as fini ? l'ai-je interrompu après avoir avalé mon dernier bout de sandwich. Non parce que ça devenait chiant là, tes menaces inutiles. Tu devrais écouter ton meilleur pote qui a raison, il a au moins le mérite d'être intelligent, lui. Ça ne sert d'appeler à l'aide puisque personne ne verra le danger.

─ Tu crois que parce que c'est ta tante la CPE, ça te sauve de tout ? Écoute-moi bien, Martin, j'en ai rien à foutre de tes liens familiaux, c'est pas ça qui va m'empêcher de parler.

Je me suis brusquement levé pour lui faire face. Il ou elle n'était même pas très grand, je le dépassait de presque une tête, comme Kancel. Ça me facilitait la tâche pour l'intimider.

─ T'as aucune preuve contre moi.

─ J'ai des enregistrements, a-t-elle avancé.

─ Ouais, c'est ça. On se retrouve dans le bureau de ma tante, du coup ? Allez bye, sale trans.

J'avais l'esprit léger ce jour-là, étant persuadé que c'était juste du bluff. Il ne m'a pourtant pas fallu beaucoup de temps pour apprendre que l'ami de Loni Kancel était membre du journal du lycée. Un article très court est apparu le lendemain, dans lequel il était demandé d'être particulièrement vigilent au cas de confrontation entre élèves car il pourrait s'agir en réalité de harcèlement. Mon nom n'était heureusement pas cité (les membres ne devaient pas être autorisés à dénoncer quelqu'un dans le journal scolaire), mais l'article faisait clairement référence à moi. Le même jour, ma tante Sophie m'a convoquée dans son bureau. Ce ne pouvait pas être une coïncidence, je le savais. Moi qui me montrais confiant, j'ai senti mon assurance s'effriter comme du sable.

Ma tante n'avait clairement pas l'air ravie, elle me regardait comme si elle allait me gronder. Cet indice n'a fait que confirmer mes craintes, avant même qu'elle débute :

─ Tu sais pourquoi je fais cette tête, Martin ?

Je n'ai pas répondu, me contentant de hausser les épaules. Mais sur mes cuisses, mes mains tremblaient de nervosité. Tante Sophie a repris dans un soupir :

─ Tu devrais le savoir, pourtant. C'est toi qu'on accuse.

─ Accuser de quoi ? ai-je feins de ne pas savoir. J'ai rien fait, tata, je t'assure !

Elle a brusquement levé sa main pour me dire d'arrêter.

─ De harcèlement, Martin, c'est ce dont tu es coupable. Les enregistrements que j'ai reçus prouvent que tu as insulté cet élève à plusieurs reprise.

─ C'est faux ! me suis-je emporté. C'est... c'est un coup monté ! Ce mec veut me piéger en sortant mes parole de leur contexte !

Elle a refait son geste insupportable tandis que je bouillonnais de l'intérieur. J'ai alors tenté la carte de l'attendrissement, en prenant une voix pleine d'émotion :

─ Crois-moi, tata, je t'en prie...

─ J'ai envie de te croire, Martin. Tu es mon neveu, je t'ai gardé bébé, je t'ai vu grandir... Je n'arrive pas à croire que tu aies fait ça. Mais les preuves contre toi sont là et en tant que CPE, je ne peux pas les ignorer. Comprends bien que si je ne fais rien, on va à mon tour m'accuser de cautionner tes actes en te protégeant. Je ne veux pas perdre mon poste à cause de tes bêtises. Alors voilà ce qui va se passer : tu seras collé tous les jours où tu ne termines pas à dix-sept heures trente, et ce jusqu'à la fin du semestre...

J'ai essayé de protester mais tante Sophie m'a encore coupé avec sa main.

─ Pendant ton heure retenue, tu m'aideras avec la paperasse et je te ramènerai chez tes parents en voiture, ce qui t'évitera de prendre le bus. C'est le minimum que je puisse faire, et même avec ça je pense que tes camarades vont m'accuser de faire du favoritisme... Enfin bon, sache que ce n'est pas que pour toi que je fais ça, c'est surtout pour tes parents. Avec le décès du père de ta maman et mon frère qui déborde de travail, je ne veux pas leur rajouter tes problèmes de comportement sur le dos.

J'ai docilement hoché la tête, que pouvais-je faire d'autre, après tout ? Tante Sophie aurait pu être plus dure encore avec moi, mais heureusement, son esprit de famille m'a évité le conseil de discipline. Je l'ai remercié en marmonnant, abaissant honteusement la tête comme un enfant qui venait de se faire gronder. Avant de me laisser partir, elle a ajouté :

─ Martin, fais attention à ce que tu fais dans ta vie. Tu as eu de la chance cette fois parce que c'est moi, mais un autre t'aurait puni autrement. Je ne veux plus avoir à te défendre sur quoi que ce soit, alors cette histoire de harcèlement, tu la... met sous le tapis.

D'un autre geste de main, tante Sophie m'a congédié pour retourner à ses mails administratifs. Elle ne m'a même pas engueulé sur le fait que je « harcèlerais » quelqu'un. Elle disait ne pas cautionner mes actes, mais en réalité, elle ne veut simplement plus en entendre parler et enterrer les preuves. Ça faisait beaucoup d'enterrement, vous ne trouvez pas ? Mais pour une fois, j'aimais celui-ci.

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Les lecteurs de la Symbiose auront reconnu Sam, l'ami.e de Loni :) !! Je devrais davantage développer ce personnage d'ailleurs...

Super la CPE... Martin mériterait un conseil de discipline, et encore, si on cumule ses années en tant que harceleur, ce n'est même pas assez. En vérité, aucune punition ne peut « laver » des actes de harcèlement, ils ont des conséquences bien trop importantes sur la victime pour être simplement pardonnés.

Gros soutien aux personnes harcelées, on vous croie, ce n'est pas à vous d'avoir honte mais bien à vos harceleurs.

Numéro d'écoute contre le harcèlement : 3020

Merci pour votre lecture :)

À bientôt !
MayaOnyx

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant