6| Jeu d'acteur

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Au début de l'année de seconde, j'ai essayé de l'ignorer. Il ne fallait surtout pas que les gens me voient lui parler, même si c'était pour l'insulter, car la première impression était primordiale. Je ne voulais pas qu'on devine un quelconque lien entre lui et moi, ni qu'on me catégorise comme un « harceleur » ‒ n'importe quoi. J'ai donc joué le mec cool, je me suis fait des potes, surtout grâce à Corey qui avait une aisance impressionnante dans les relations sociales. Ça tombait bien qu'on soit dans la même classe, ma mère nous emmenait tous les matins en voiture et on rentrait en bus ensemble. Au lycée, on s'est rapproché de deux autres gars de notre classe, Georges et Tristan, qui étaient meilleurs amis depuis l'école primaire. Ils ont tout de suite adopté Corey, et moi j'étais dans le package, en quelque sorte... Enfin bref, ils sont bon délire.

Un jour, je mangeais mon panini à la cafétéria avec eux quand Corey est enfin arrivé avec son plateau. Personne n'avait su pourquoi il ne nous avait pas accompagné dans notre course effrénée pour griller la queue de la cafet, et c'est en l'apercevant avec une fille que nous avons aussitôt compris. Il nous a fait un discret signe de main vers elle pour nous signifier qu'ils allaient déjeuner ensemble. Tristan a levé son pouce tandis que Georges faisait des gestes obscènes avec ses mains. Corey lui a fait un doigt d'honneur avant de partir avec son rencard.

─ Ben dis donc, on n'est même pas en octobre et il flirte déjà avec une meuf ! s'est esclaffé Georges. Il perd pas de temps, celui-là !

─ En même temps, tu l'as vu ? a soupiré Tristan. Belle gueule, musicien, super confiant... évidemment que les filles lui courent après.

─ Tu crois qu'il a déjà... ‒ Georges a refait son geste bizarre ‒ ... trempé son biscuit ? Il te l'a dit, Martin ?

─ Euh... non, on se connaît que depuis un mois, ai-je répondu entre deux gorgée de Coca.

N'empêche, la question de Georges avait piqué notre curiosité. Corey a continué de discuter avec la fille un bon moment, mais heureusement elle avait cours et a dû partir. Ni une ni deux, on s'est jeté sur lui pour l'interroger. C'est Tristan qui a pris la parole en premier, pour empêcher Georges d'étaler son manque de tact légendaire.

─ Alors c'était comment avec... euh...

─ Anna, a complété Corey d'un air radieux. Eh ben ça s'est plutôt bien passé, elle est mignonne et on accroche bien tous les deux. Elle m'a proposé un pique-nique au parc Voltaire samedi.

─ Mec, c'est trop bien ! s'est exclamé Georges. Tu lui plais, c'est sûr à cent pourcent. Si tu la pécho pas samedi, tu auras affaire à moi !

On a continué à faire le tour de la cour sans savoir comment aborder le sujet qui nous intriguait tant. Georges et Tristan n'arrêtaient pas de m'envoyer des regards, comme si c'était à moi de poser la question. Corey a fini par remarquer notre petit jeu et a demandé ce qu'il se passait.

─ Ben, en fait, on se demandait...

─ On voulait savoir si...

─ Si tu avais déjà couché avec une fille, ai-je finalement lâché.

Corey nous a tous les trois regardé en haussant les sourcils, mais heureusement, il ne s'est pas arrêté de marcher ‒ ç'aurait été trop gênant sinon. Il a eu un rire semi-amusé semi-embarrassé et a répondu à notre question intrusive par une autre question :

─ Pourquoi vous me demandez ça ?

─ Bah... euh... a bafouillé Georges, ...t'es super à l'aise avec les filles, du coup on se posait la question.

─ T'as l'air d'avoir de l'expérience, a ajouté Tristan. Plus de maturité que les autres mecs, tu vois ?

Corey a eu de nouveau un rire gêné.

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant