8| Celui qui brillait

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Je me tenais près du buffet, un verre de punch à la main. J'en avais déjà bu deux et j'aimais plutôt bien le goût, même si la désinhibition ne se manifestait pas assez pour me mettre à danser au milieu de la foule comme le faisait Corey. Je crois qu'il n'avait même pas besoin d'alcool dans le sang pour avoir ce courage. Une fille s'est approchée de lui, une petite asiatique en robe bleue à paillettes, et ils ont commencé à bouger très proche l'un de l'autre en se regardant intensément. Corey a fini par la prendre par la taille, elle a enroulé ses bras autour de ses épaules. Et là, comme ça, ils se sont embrassés. Ils n'avaient échangé aucun mot avant, je ne sais même pas si Corey la connaissait. Et pourtant ça semblait si naturel, si facile à faire que je me sentais stupide et faible de ne pas en être capable.

Je n'étais pas le seul à les observer depuis le bord de la piste. Anna était là, assise seule les bras croisés, un mélange acide de colère et de larmes dans les yeux. Même ses amies l'avaient abandonnée pour danser avec Tristan et Georges. Je me suis avancé vers elle, sans réfléchir à ce que j'allais lui dire. De plus près, j'ai pu voir qu'elle s'était vraiment fait très belle ce soir, sûrement pour tenter de séduire Corey qui ne la regardait même plus. Je me suis assis sur la chaise d'à côté et j'ai continué à le regarder, avec elle. Au bout d'un moment, elle a ouvert la bouche sans détourner la tête de cet ex qu'elle regrettait tant.

─ Elle est belle, pas vrai ? La fille avec qui il danse, qu'il vient d'embrasser devant tout le monde. Elle est bien plus belle que moi, je sais. A quoi ça sert que je passe des heures devant mon miroir pour qu'il me regarde si lui s'en fout complètement de moi ? Et le pire... c'est que je n'arrive même pas à le détester. Il était si gentil, si attentionné et respectueux quand on était ensemble. Je n'avais jamais rencontré de garçon aussi parfait que lui. Il m'a fait tomber amoureuse, puis pile à ce moment, il m'a jeté. C'est comme s'il avait senti mon attachement, comme s'il s'était senti tout d'un coup emprisonné. Je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il m'a fait ça...

Anna s'est mise à pleurer. J'étais déstabilisé, ne sachant pas quoi faire. Quand j'ai passé une main maladroite sur son épaule, elle a levé vers moi ses grands yeux larmoyants. Et brusquement, sans que je ne puisse la voir venir, elle a avancé son visage et m'a embrassé.

Par réflexe, j'ai failli la repousser. Mais au bout du compte, je me suis dit que c'était ce que je voulais, non ? Embrasser une jolie fille à la fête, et Anna était très jolie, bien plus jolie que celle avec qui dansait Corey, selon moi. Et puis d'un côté, je trouvais ça drôle de poser mes lèvres sur celles d'une fille qu'il avait déjà embrassé. Je voulais être comme lui, alors il fallait bien commencer par marcher dans ses pas. Je me suis donc laissé aller au baiser d'Anna en pensant avec elle que peut-être, Corey nous regardait. Cette idée me faisait sourire tout contre sa bouche. Je crois qu'à ce moment, je me moquais bien de n'être que le remplaçant de Corey. J'avais fini par accepter que je ne serai jamais à la hauteur, mais que je pouvais peut-être m'en approcher en l'imitant, en prenant sa place quand il finissait par se lasser, en mangeant les miettes qu'il laissait. Anna tanguait lentement avec moi sur la piste et je pensais alors que je lui ressemblais un peu plus en dansant avec son ex.

La soirée avançait en même temps que la nuit et les bouteilles d'alcool se vidaient. Vers minuit, Georges a proposé de faire un action ou vérité. On s'est assis tous en rond par terre et on a laissé une bouteille de vodka vide décider. Les questions indiscrètes et les défis s'enchaînaient, parfois généré par une application quand personne n'avait d'idée. Et puis s'est tombé sur moi. J'ai demandé une vérité en pensant être à l'abri. C'était une question basique pourtant, mais qui m'a brutalement noué la gorge.

─ Raconte-nous ta plus grande honte.

J'ai dégluti, alors que ces horribles souvenirs défilaient dans ma tête. Pendant trois ans j'avais tout fait pour les effacer de ma mémoire, et cette question stupide venait de les ramener à la charge. Je me rappelait de son visage, son magnifique et immonde visage qui hantait mes jours et mes nuits. Je me suis revu approcher subitement le mien et faire cet acte écœurant, sentir sa bouche sursauter et se contracter de surprise et sûrement de dégoût contre mes lèvres. Car bien sûr que je le dégoûtais, qu'il me haïssait de tout son être, je le savais, j'en avais parfaitement conscience. Voilà pourquoi je voulais le haïr plus fort encore, devancer sa colère avant qu'elle ne me rattrape. Je le haïssais d'être ma plus grande honte. Et bien sûr, j'ai complètement menti sur cette répugnante vérité.

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant