Souvenirs d'un Refoulé

7| La mauvaise blague

Tristan et Georges connaissaient un gars du lycée dont le grand frère fournissait des cigarettes. Il y avait un vrai trafic de clopes dans le parc Voltaire, là où Corey avait eu son rendez-vous avec Anna ‒ qui, évidemment, était devenue sa copine après. Notre petit groupe est allé s'en procurer, « juste pour tester » a assuré Tristan, et on s'est posé dans le parc avec Anna et ses deux copines, Camille et Océane. Georges et Tristan étaient assis avec elles sur des rochers, en train d'essayer de les draguer, Corey caressait les cheveux de sa copine allongée dans l'herbe et la tête posée sur ses genoux, quant à moi je m'étais installé en tailleur contre un arbre. Camille a sorti son briquet pour allumer une première cigarette. Elle a inspiré et expiré une bouffée de fumée avec habitude avant de la passer à Tristan. Il a essayé de l'imiter mais s'est étouffé sous les rires hilares de Georges. Ce dernier a ensuite testé à son tour, n'a pas eu de réaction pendant un moment, puis s'est finalement mis à tousser comme Tristan.

─ Karma ! s'est exclamé son meilleur ami pour le narguer.

─ J'ai juste besoin d'un peu d'entraînement, s'est défendu Georges avant de passer la cigarette à Corey.

D'un geste trop naturel pour une première fois, Corey inspiré puis a soufflé la fumée sans tousser, prenant soin de lever la tête pour ne pas déranger sa copine.

─ Ben quoi ? a-t-il demandé en riant alors qu'on le regardait tous. Okay, j'avoue, j'avais déjà fumé avant.

─ Qu'est-ce que tu n'as pas déjà fait dans ta vie ? s'est lamenté Tristan.

─ Hum... je n'ai jamais embrassé un mec ! Enfin, pour le moment...

Tout le monde a éclaté de rire sauf moi. Corey se croyait drôle en disant ça ? En plaisantant sur ce sujet qui m'a valu une gifle de mon père ? Le pire, c'est qu'Anna a continué en lui demandant s'il la quitterait pour sortir avec un d'entre nous. J'étais le seul à ne pas avoir ouvert la bouche de toute la conversation, et bien sûr c'était sur moi qu'il fallait que ça tombe.

─ Un petit bisou pour Corey, Martin ?

─ Allez, Martinou, sois pas timide !

─ Je te prête mon copain juste pour cette fois.

─ Les gars, laissez-le, vous le mettez mal-à-l'aise !

Mes joues me brûlaient d'une honte horrible pendant qu'ils me regardaient tous en riant. Et ils n'arrêtaient pas d'encourager Corey à m'embrasser, « juste pour la vanne, c'est drôle ». C'est drôle, trop drôle, et moi j'ai l'air de rire ? Pourquoi tu as fait cette blague stupide, Corey ? Pourquoi les autres ne voient pas à quel point ce sujet me donne envie de pleurer ? Je me fichais que ce soit une simple plaisanterie, ça ne l'était pas du tout pour moi. Alors mort de honte et de colère, je me suis levé pour partir et fuir cette bande de cons qui prétendaient être mes amis. J'ai senti une main m'attraper par la manche, exactement comme Loni Kancel à la sortie. Je me suis aussitôt dégagé de la poigne de Corey.

─ Martin, excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser, reviens !

Je voulais lui hurler dessus à lui aussi, l'insulter, le menacer, le briser de la même façon que l'autre pourriture. Mais je n'étais pas stupide, ce qui marchait avec Kancel n'allait pas fonctionner sur Corey. Nous ne jouions pas dans la même cour, il n'y avait qu'à voir l'admiration que lui portait Tristan et Georges et les regards séduits des filles quand il passait. Corey était supérieur. Il était aimé, accepté, les autres le protégeraient. Si je m'en prenais à lui, ma propre violence se retournerait contre moi. J'étais obligé de lui pardonner pour conserver ma place. J'aurais beau le détester, Corey Meyer était intouchable.

─ Je sais que tu ne veux plus me parler, mais s'il te plaît, Martin, je veux vraiment te présenter mes excuses.

Je me suis forcé à ouvrir le portail de ma maison pour lui faire face. Corey jouait nerveusement avec ses mains et j'avais envie de lui ordonner d'arrêter. Mais je ne pouvais pas, je devais toujours lui témoigner du respect, même en dehors du lycée. Qui sait ce qu'il pourrait raconter aux gars ou à sa copine sur moi.