14| Apprendre à faire la paix

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Par la suite, je ne l'ai que très peu revu. On s'est croisé au bac, puis aux résultats, et c'est tout. Il a eu la mention « très bien » évidemment, même après tout ce qui s'est passé. J'étais assez admiratif, pas de ses résultats, mais de son courage. Je n'ai pas osé lui parler ce jour-là. Il ne m'a pas vu, et c'est mieux comme ça.

Après le lycée, j'ai intégré une prépa littéraire en vue de passer le concours d'une école de commerce. Aussi, j'ai réussi à convaincre mes parents d'intégrer un internat. Loin de la maison, j'ai l'impression d'être indépendant pour la première fois de ma vie. Ça me fait un bien fou. Plus rien ne me retient ou ne me menace aujourd'hui.

C'est cette liberté nouvelle, je crois, qui m'a permis de devenir la personne que je suis actuellement. C'est aussi grâce à quelqu'un. On s'est rencontré en cours, il m'a immédiatement tapé dans l'œil avec son style excentrique et son sourire éclatant. Il a vu que je le regardais et est venu me parler, comme ça, tout naturellement. De près, j'ai pu voir la couleur de ses yeux. Bleu-gris. Quand je lui ai demandé son nom après avoir donné le mien, sa bouche a formé ce doux prénom : « Étienne ». Étienne. Ensuite, on ne s'est plus quitté. J'ai su assez vite qu'il était gay. Il n'avait pas besoin de me le dire pour que je le sache, car parfois il laissait dans ses phrases des indices évidents. Je ne sais pas s'il le faisait sans réfléchir ou s'il voulait m'envoyer un signe. Enfin, il a lui aussi vite su que c'était pour moi un sujet sensible. Il fallait y aller doucement. Petit pas par petit pas vers cette partie de mon identité que j'ai longtemps rejeté. Je devais me réconcilier avec elle et apprendre à l'aimer, lentement.

Un soir, Étienne a insisté pour m'entraîner dans un bar gay, et devant son sourire irrésistible, je n'ai pas pu refuser. Il m'a dit : « T'inquiète pas, Martin, on bouffe pas les hétéros ! » et j'ai ri nerveusement. Si mes parents savaient que j'irais un jour dans une boîte de ce type, ils me déshériteraient ou quelque chose comme ça. Et si Loni Kancel le savait... eh bien, je préférais ne pas y penser. C'est stupide, mais j'ai toujours peur de le croiser dans ce genre d'endroit. Enfin, il y a beaucoup de monde dans une boîte, et beaucoup de boîtes gays à Paris, et puis ce n'est clairement pas son style d'aller à des fêtes. J'allais être avec Étienne et tout allait bien se passer. Me confronter à tout ça, c'était la seule solution pour rompre avec l'ancien moi, Martin le harceleur homophobe. Aussi, ça faisait plaisir à Étienne, et j'aime quand il est heureux. Ses yeux bleu-gris se plissent et deviennent rieurs lorsqu'il sourit.

Au début, j'étais assez mal-à-l'aise, ne me sentant pas encore à ma place, mais Étienne a vite chassé cette mauvaise impression. Il m'a pris la main pour m'entraîner dans la foule et m'a présenté aux amis qu'il croisait. Il disait : « Voici Martin, mais rangez vos regards affamés, je sais qu'il est beau pour un hétéro. » J'avais envie de lui dire qu'il était bien plus beau que moi, surtout quand il ajoutait parfois pour plaisanter : « pas touche, il est à moi ». L'idée d'être « à lui » me plaisait énormément, car je sentais mon cœur s'affoler quand il prononçait ces mots en riant.

Nous avons bu quelques verres au bar avant d'aller danser. Au fur et à mesure, je ne faisais plus vraiment attention aux couples d'hommes et de femmes qui s'embrassaient autour. C'était simplement normal ici, je commençais à m'y faire. Et surtout, je ne faisais que regarder Étienne. J'ai encore une image très précise de lui ce soir-là. Il portait une chemise à franges à motifs jaune et orange, qui laissait entrevoir quelques centimètre de son torse. Son pantalon violet lui moulait les jambes, taille basse, pour lui descendre sur les hanches lorsqu'il dansait. Mon Dieu, qu'il était beau. J'ai eu envie de passer ma main dans ses cheveux de toutes les couleurs. Il était un peu pompette, je crois, puisqu'il s'est approché de moi comme jamais il ne s'était autorisé à le faire.

Je n'ai pas reculé. Je l'ai laissé s'approcher jusqu'à sentir son souffle chaud sur ma joue. Ce n'était pas parce que j'étais figé de surprise ou d'appréhension que je n'ai pas bougé, mais bien parce que j'en avais envie, en quelque sorte. Étienne avait une odeur de cuir mêlée à la vodka-citron qu'il venait de boire. Nos visages étaient si proches que son nez aquilin frôlait le mien. Les basses résonnaient dans ma poitrine et j'avais comme l'impression que nous étions hors du temps. Ma main a empoigné un pan de sa chemise pour réduire le peu de distance qui nous séparait. Je ne savais plus ce que je faisais, je n'avais plus aucun contrôle ni plus aucune censure. Et c'était un sentiment juste incroyable. Ensemble, nous avons tourné la tête de telle sorte que nos lèvres se sont touchées. Étienne me répondait avec le même désir et soudain, j'ai senti ma solitude et mon incompréhension de moi-même se dissiper comme un nuage de pluie. Nous nous sommes embrassés longuement encore, puis se décollant un peu, Étienne a ri.

─ Ben alors ? Je croyais que les mecs n'étaient pas ta tasse de thé.

─ J'ai menti, me suis-je entendu dire. C'est toi ma tasse de thé, Étienne.

Dans ma bouche, c'était une évidence. Je l'ai confirmé en embrassant encore cet homme, et plus je le faisais, plus je me sentais légitime à le faire. C'est une vérité qui ne peut s'effacer, immuable et indélébile dans mes veines. Pendant dix-huit ans de ma vie, je me suis borné à me battre contre l'évidence, et je me suis blessé et j'ai blessé les autres pour au final, ne rien obtenir. Il suffisait de faire la paix. Mais pour cela, je devais briser des liens, m'en libérer et faire le voyage de la réconciliation. Avec moi-même. Apprendre à m'aimer. Dix-huit ans. Apprendre enfin à me donner ce que nous méritons tous : la liberté.

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J'aime d'amour ce chapitre, je suis tellement fière de Martin haaaaa !!!

J'ai l'impression d'avoir dead ça au dernier paragraphe pwahaha XD

On aime fort fort Étienne, gros cœur sur lui <3 Il a réussi à nous débloquer notre Martin !!

Partir du foyer familial, c'était bien la seule solution pour que Martin se sente enfin libre. C'était réellement son père qui l'empêchait d'être lui-même, Martin devait s'émanciper pour s'accepter sans craindre le jugement de sa famille.

Plus qu'un chapitre avant la fin... :'(

Je vous remercie pour votre lecture !

À bientôt !
MayaOnyx

Souvenirs d'un RefouléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant