Souvenirs d'un Refoulé

15| Pardon, merci, sois heureux

─ Voilà. J'ai tout dit. J'ai fini.

─ Tu te sens mieux, Martin ?

─ Oui, je me sens plus léger. Ça m'a fait du bien de parler. J'en avais vraiment besoin.

─ Tant mieux, alors. Tu peux être fier de toi, ce n'est pas facile de formuler tout ça. Crois-moi, d'autres avant toi, qui avaient des histoires similaires, en ont parlé sur plus de séances, parce qu'ils avaient du mal à tout dire d'un coup.

─ Je voulais m'en débarrasser vite, car je ne voulais pas qu'Étienne s'inquiète en me voyant pleurer. La première fois, il m'a demandé pourquoi je me rendais à l'association. Je lui ai fait croire que je donnais un coup de main, pas que j'allais chez la psy...

Rosaline me sourit légèrement, assise dans son fauteuil aux couleurs de l'arc-en-ciel. J'ai bien fait de me rendre à l'association LGBT+ du coin pour consulter, j'avais peur qu'un psychologue ordinaire me juge ou ne comprenne pas. Rosaline a l'habitude des cas comme moi, les cas d'homophobie intériorisée. Pendant trois séances, je lui ai raconté les horreurs que j'ai fait et elle m'a écouté simplement, sans m'interrompre car j'avais juste besoin de vider mon sac. Maintenant que cette épreuve est passée, elle reprend son rôle de conseillère et me fait quelques suggestions.

─ Tu sais, il y a un moyen pour que le mensonge que tu as dit à ton copain devienne une vérité. C'est seulement si tu te sens prêt, bien sûr, mais je pense que ton témoignage pourrait aider beaucoup de jeunes, dans les collèges et lycées par exemple, pour combattre le harcèlement et l'homophobie. Tu pourrais donner des conférences, quand tout cela sera cicatrisé. Qu'est-ce que tu en penses ?

Je ne m'attendais pas à une telle proposition, mais en y réfléchissant bien, ce n'est pas une mauvaise idée. Je dis à Rosaline que je vais me laisser le temps, mais que plus tard, je donnerai ces conférences avec joie. Elle a l'air contente et je lui souris en retour. Comme la séance va bientôt se terminer, elle me demande comme à chaque fois :

─ Est-ce que tu as besoin de quelque chose avant de partir ?

J'allais dire que non, mais tout compte fait, il y a bien une dernière chose qui me pèse encore sur le cœur. Je me dis qu'après tout ce que je lui ai confié, Rosaline ne sera pas étonnée que je formule cette idée. Prenant mon courage à deux mains, je me lance :

─ Je ne sais pas comment, mais je voudrais me racheter auprès de Loni. C'est stupide, je sais, mais j'ai du mal à dormir à cause de la culpabilité, alors je me disais que peut-être... je ne sais pas, c'est stupide...

─ Pas du tout, Martin, ça n'a rien de stupide, c'est même très sain d'avoir cette volonté de pardon, me dit aussitôt Rosaline. Écoute, j'ai peut-être une idée. Y a-t-il une chance que tu trouves un moyen de le contacter ?

Je réfléchis, passant en revu les contacts Instagram que nous pourrions avoir en commun. Puis je me rappelle que Corey a pas mal d'abonnés sur les réseaux, je n'aurai aucun problème à trouver son compte et à chercher Loni dans ses abonnements. Je hoche donc la tête et Rosaline me fait alors part de son idée.

***

23 avril 2019

Salut Loni, c'est Martin.

Je ne sais pas si tu vas lire ce message, ce serait compréhensible que tu ne le fasses pas après tout ce que je t'ai fait. Pour être tout à fait honnête, je l'écris égoïstement, afin d'être en paix avec moi-même. Mais s'il peut panser une des blessures que je t'ai infligées, ça me soulagerait beaucoup.

Je suis désolé. Pour absolument tout, pour les insultes quotidiennes comme pour la fois où je t'ai embrassé sans ton consentement. Ces trois mots ne répareront rien, j'en ai conscience, mais j'avais besoin de te les dire pour me sentir mieux. Aussi tu avais raison sur mon compte, si je t'ai harcelé toutes ces années c'est parce que tu me rappelais une part de moi que je détestais. Je suis gay. Je l'assume aujourd'hui, j'ai même un copain merveilleux. Tu t'en fous, je sais, enfin j'espère que toi aussi tu mènes une belle vie aux côtés de la personne que tu aimes.

Tu n'oublieras rien de ce que je t'ai fait, et moi non plus je n'oublierai pas. J'ai terriblement honte de mon comportement, mais je ne compte pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Je t'ai fait souffrir et c'est impardonnable. Ça me pèsera sur le cœur jusqu'à la fin de ma vie, mais j'espère que toi, au moins, tu parviendras à te reconstruire.

Je tiens aussi à te remercier de n'avoir rien dit à mes parents. C'était une décision d'une bonté extrême que je ne méritais sûrement pas. Enfin, je veux te dire merci de m'avoir fait prendre conscience de qui je suis, même si cela t'a coûté trop cher. C'est grâce à toi que je suis épanoui aujourd'hui. C'est grâce à toi, Loni, que je suis moi.

Pardon, merci, sois heureux.

Martin

_______________________________________

C'était la dernière pierre à apporter à l'édifice : les excuses envers Loni. Comme Martin l'a dit, son message n'effacera pas le passé, mais cela reste un geste très important.

À votre avis, comment Loni réagirait en lisant ce message ?

C'était aussi le dernier chapitre de cette courte histoire, Souvenirs d'un refoulé. Certaines de mes amies se sont un peu moquées du titre et c'est vrai qu'il est assez cash x) mais bon, j'ai trouvé que c'était le titre qui résumait le mieux cette histoire : Martin qui raconte ses souvenirs en tant qu'ancien refoulé.

Bref, je suis assez fière d'avoir relevé le défi d'écrire sur le sujet sensible de l'homophobie intériorisée. Bien sûr, chaque parcours est différent, et celui de Martin apparaît comme un peu cliché (un garçon gay dans une famille très pratiquante dont le père est violent), mais c'est parce que le but était d'étudier une situation "classique" et récurrente.

Aussi, ça m'a fait plaisir de retrouver mes personnages chéris de La Symbiose x) Il faut vraiment que j'arrête haha sinon il va encore y avoir quinze autres hors-série juste pour les mettre en scène ;-;

Je vous remercie du fond du cœur d'avoir lu Souvenirs d'un refoulé <3

À bientôt dans une prochaine histoire !
MayaOnyx