Chapitre 1

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- Oui, très bon. Et sinon, notre fille ne serait-elle pas dans les parages ?
Quand j'entends de loin ces voix si familières dans le hall du palais royal, je me sens revivre. Respirant enfin, je fausse compagnie à mes deux amies, Mélisandre et Clémence, avec qui je me rendais au boudoir.
- Ils sont là !, je m'exclame à leur attention pour m'excuser de partir si vite et de les abandonner au beau milieu du couloir.
J'entends à peine la voix surprise de Clémence :
- Qui ça "ils" ?
Je ne prends pas la peine de lui répondre, je me suis déjà éloignée et me voilà presque arrivée dans le grand hall. Quand je tourne dans la large entrée principale, je vois enfin ceux que j'attends impatiemment depuis quelques jours maintenant. Je me rue vers eux.
- Maman ! Papa !
Je me jette dans leur bras. Quand je les vois de plus près, je ressens un pincement au cœur. Cela fait tellement longtemps que je ne les ai pas vus... J'ai l'impression d'avoir vieillie de cent ans en leur absence et de m'en rendre compte seulement maintenant, comme en feuilletant un très vieil album photo dans lequel seraient conservés tous ces visages qui m'étaient pourtant si familier.
- Victoria... Ma grande..., souffle mon père quand il me serre dans ses bras.
Je sens dans sa voix la joie de me revoir, mais aussi une profonde tristesse. J'imagine qu'il aurait aimé me revoir dans d'autres circonstances, plus joyeuses. Je l'aurais aimé aussi. Malgré tout, cela me fait un bien fou de tous les revoir : maman, papa, Louis, Janvier, Maxence et...
- Myriam ? Tu..., je m'interromps.
Quand je vois mon ancienne amie, je hausse les sourcils d'étonnement. Je m'apprête à lui demander ce qu'elle fait au palais mais je me reprends vite : cela ne serait pas très convenable. Je suppose qu'elle partage aussi la peine de la famille : elle connaissait presque aussi bien mon frère que moi, et dans ces moments difficiles elle a dû vouloir me rejoindre. D'ailleurs je l'en remercie, cela me fait aussi beaucoup de bien de la voir.
- Je suis tellement contente que tu sois venue aussi, je lui souffle doucement en la prenant à son tour dans mes bras.
Elle ne dit rien mais me sourit tristement, j'ai l'impression qu'elle veut me faire passer un message par son regard mais je ne saisis pas bien. Elle compte certainement me parler un peu plus tard. Après tout, on a été séparé un bon moment, on a beaucoup de chose à se dire toutes les deux. Et puis sa vie n'est peut-être pas bien facile depuis que les agressions contre ma caste se sont accélérées : je me souviens que sa mère se voyait en difficulté de trouver de nouveaux contrats à cause de sa nouvelle aide de caste 0... C'est bien triste...
Après m'être séparée d'elle j'échange quelques mots avec mes frères. Je sens que Janvier a changé depuis la dernière fois que je l'ai vu. Il a l'air plus perdu que jamais et j'imagine très bien pourquoi... Moi-même j'ai l'impression de n'être plus qu'une pauvre enfant sans défense depuis que j'ai appris la terrible nouvelle...
Après la fratrie, je me tourne enfin vers ma mère. Quand je la regarde, je vois tout l'amour qu'elle me porte dans ses yeux.
- Victoria...
Elle m'enlace tendrement. Je n'ai jamais été aussi contente de la voir. Je crois que je n'aurais jamais cru avant cet évènement que quoi que ce soit ait pu convaincre ma mère de venir passer un séjour au palais royal. Cela me touche énormément de la voir ici, pour moi. Bientôt, je me détache d'elle et me tourne vers une personne dont l'émotion m'aurait presque empêchée de remarquer la présence.
- Majesté, je fais en m'inclinant rapidement devant la reine Kriss qui était venue ouvrir à mes parents en compagnie d'un des gardes. Je vais amener ma famille aux appartements que mes caméristes leur ont préparés si vous le voulez bien.
La mère de Joshua me rend mon salut d'un signe amical de la tête et approuve :
- Parfait, je vous laisse en famille alors. Je vais prévenir le prince qu'ils sont arrivés, puis elle ajoute en direction de mes parents : America, je suis sincèrement heureuse de te revoir parmi nous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à demander.
Je remarque le regard hésitant qu'elle lance à ma mère. Cette dernière a une expression tout aussi hésitante. Je peux comprendre... Ayant été mise au courant de la manière dont s'est véritablement finie la dernière Sélection, je sais combien il doit être difficile aux deux femmes de se faire confiance. L'une d'entre elle devait épouser le prince mais sa liaison avec un garde l'en a empêché, et l'autre a finalement épousé l'homme convoité alors que celui-ci ne l'avait pas choisie et ne voulait au départ pas réellement d'elle...
Enfin... -quand je vois ma mère offrir finalement un sourire à la reine Kriss, je souffle intérieurement : tout cela est du passé. Leur Sélection ne les a pas uniquement mises en concurrence, elles ont aussi été amies, et elles semblent pour l'heure avoir tracé un trait sur les épisodes houleux du choix final du roi Maxon. Tant mieux. J'ai assez souffert du malaise du roi Maxon en ma présence en ce début de Sélection : je ne veux pas revivre la même chose avec ma mère et la reine Kriss. Surtout en ce moment... J'ai besoin de faire le deuil de mon jumeau en paix...
J'accompagne toute ma famille le long du couloir qui mène à leurs nouveaux appartements. Le roi Maxon a accordé à mes caméristes de leur préparer des chambres accolées dans un espace à l'écart de celles des Sélectionnées, pour qu'ils ne se sentent pas trop mal à l'aise, sans être trop loin de ma chambre. Je suis réellement heureuse qu'ils soient là. Je crois que je vais même proposer à Myriam d'aménager dans ma propre chambre : j'ai plus que jamais besoin que mon amie soit là avec moi.
En attendant, nous arrivons bientôt dans une grande pièce qui sera l'endroit où mes parents pourront dormir. En entrant, je pars directement déposer la grosse valise de ma mère sur le lit.
- C'est... aussi beau que dans mon souvenir ici..., lâche maman les yeux dévorant l'espace autour d'elle.
Elle semble se perdre un moment dans une certaine nostalgie. En voyant cela, mon père se rapproche.
- Oui Ame. Ça n'a pas beaucoup changé, en revanche beaucoup de temps a passé.
Avec un ton plus malicieux, il ajoute :
- Revoir tout ça ne nous rajeunit pas... C'était il y a longtemps...
Je ne sais pas quoi dire pendant un petit moment, puis finalement, c'est la voix de Louis mon grand-frère qui rompt le silence gênant qui s'est installé.
- Victoria, tu nous montres les autres chambres ?
- Heu... Oui !, je bredouille. Excuse-moi, on y va tout de suite. Papa, maman, je reviens vous voir dans une minute.
Mes parents ne répondent pas tout de suite. Ils se regardent simplement et semblent se passer des milliers de messages par leurs regards. Je leur jette un dernier coup d'œil avant d'inviter mes trois frères et mon amie à sortir de la première chambre.
Nous continuons donc en passant par la chambre de Janvier et de Maxence qui dormiront ensemble. D'habitude, à la maison, Janvier aime déclamer son autorité, son autonomie : il est pile dans l'âge où l'on aime se faire voir comme un vrai adulte, même si en soit il est encore un peu jeune. Pourtant là, il paraît ravi de ne pas avoir à être seul pour la nuit. Depuis que l'on fait la visite des chambres, il garde cet air sombre sur le visage qui me désole... C'est visible : il ne supporte pas la mort de Cône, comme moi... J'espère qu'il va réussir à reprendre vite le sourire malgré ce drame : s'il reste aussi triste, cela ne m'aidera pas beaucoup non plus...
- On vous laisse quelques instants dans votre chambre les garçons, je leur lance en me demandant si je ne devrais pas leur demander de nous accompagner.
- Oui, fait Maxence avec une assurance qui me rassure.
Il arrivera peut-être à donner un peu de sa force à Janvier, je pense que ce dernier en aurait bien besoin. Enfin... Nous repartons alors dans le couloir, encore un peu moins nombreux cette fois-ci.
Quand nous traversons une certaine distance, j'entends soudain des pas derrière moi qui ne semblent pas venir de notre petit groupe. Machinalement je tourne la tête et aussitôt je m'arrête. Louis et Myriam se retournent également et en voyant qui arrive, ils ouvrent de grands yeux et se fondent aussitôt en une révérence :
- Majesté. Veuillez accepter toute ma reconnaissance, récite Myriam d'une voix un peu tremblante.
Pas de doute : elle est impressionnée de voir le prince d'Illea en personne juste devant elle. Je peux la comprendre. Moi aussi à mon arrivée au palais j'étais comme elle. Louis semble aussi très solennel. En les voyant ainsi, Joshua semble un instant gêné puis il finit par dire :
- Relevez-vous. C'est moi qui vous remercie d'avoir pu venir. Votre présence fera un grand bien à votre sœur je crois.
Louis et Myriam se redresse en souriant. Je n'ai même pas le temps de préciser à mon amour que Myriam n'est pas ma sœur mais mon amie, que celui-ci reprend à mon attention :
- Vica j'ai vraiment besoin de te parler. Tu... -tu es disponible ?
Je hausse les sourcils. Je sais qu'il ne veut pas à mal mais je ne trouve pas sa demande très délicate. Il doit se douter que j'ai besoin de passer un peu de temps avec ma famille qui vient à peine d'arriver.
- C'est à quel sujet ?, je demande un peu plus froide que je ne l'aurais voulu.
Joshua esquisse un geste d'approche mais hésite une seconde et semble se raviser. Je crois qu'il appréhende la réaction de ma famille s'il se montre trop proche avec moi devant leurs yeux. A ce moment, je regrette de lui avoir parlé un peu sèchement : je ne devrais pas lui en vouloir, s'il veut passer du temps avec moi c'est que lui-même ne va pas très bien en ce moment. Après tout, la pression du peuple et des spectateurs de la Sélection s'accumule de jour en jour. Ce n'est pas facile pour lui et malgré cela, il s'efforce de toujours faire au mieux pour tout le monde. En voulant m'enlever quelques minutes à ma famille, il ne voulait pas me blesser...
- Au sujet des autres filles, me répond Joshua en jetant des coups d'œil furtifs et un peu gênés à Louis et Myriam. De nous deux, de... -tout cela quoi.
Je plonge mon regard dans le sien. Ce que je découvre dans son regard ne m'étonne pas vraiment mais attise ma compassion : Joshua me réclame. Il réclame un instant rien qu'à nous. Je devine que mis à part ce dont il veut vraiment me parler, il a besoin de quelques minutes d'innocence pendant lesquelles nous ne serions qu'un petit couple loin de tout ça. Je suis touchée. Malgré tout, ça n'est pas le moment. Je suis désolée que tous les problèmes arrivent en même temps mais là je ne peux que donner la priorité à ma famille...
- On se verra plus tard, d'accord ?, je réponds alors d'une voix douce.

La Sélection de Victoria (T3) - Alliance et dernières vérités Où les histoires vivent. Découvrez maintenant