Un soutien de plus. Une Sélectionnée de plus à être un peu moins innocente, moins passive. Les gens vont-ils le remarquer à travers le filtre brouillé des caméras ?
Alors qu'un nouveau projecteur s'allume, je détourne ma tête de Mélisandre et balaie notre conversation du jour de mon esprit pour me reconcentrer sur la scène présente : la fin d'après-midi est arrivée et nous nous apprêtons à tourner le nouveau bulletin de la semaine.
Généralement, les bulletins passent plutôt vite et sont très supportables. Cependant, j'ai aujourd'hui une petite réserve : le couple royale a demandé à mes parents d'être présents pour celui-ci. Je vais donc sûrement devoir expliquer leur présence à la caméra… Je ne le sens pas trop. La raison de leur présence est tellement personnelle que j'ai bien peur de ne pas du tout être à l'aise pour en parler devant un micro.
- C'est parti ! On tourne.
Un clap se fait entendre. Assise sur l'estrade en compagnie des autres Sélectionnées de l'Elite, je plonge une dernière fois mon regard dans la foule de spectateurs présents ce soir avant que ceux-ci ne disparaissent dans le noir. La lumière n'éclaire plus que la scène où nous sommes. A notre gauche, les quatre sièges royaux sont occupés par Maxon, Kriss, et leurs deux enfants. Et tout au bout de la scène, ma famille est assise, l'air intimidé pour mes frères, l'air incroyablement assurée pour ma mère. Myriam n'est pas là. Elle a hésité un peu avant de demander au roi la permission de ne pas paraitre à l'écran. Permission qu'il lui a gentiment accordée.
Comme d'habitude, le joyeux présentateur ouvre le bulletin de quelques phrases bateau puis laisse la parole au roi. Durant son discours, je le regarde mais ne l'écoute pas vraiment. Mon esprit divague et je pense à tout sauf à la situation présente. Comme pour fuir ce moment… Je ne veux pas me rappeler que je vais devoir bientôt prendre la parole pour présenter ma famille…
A la place, je pense aux lumières qui nous éclairent. Elles sont vraiment aveuglante n'empêche… Nos yeux vont finir par être vraiment déglingués à force. J'espère que ces séances nombreuses de passage à la télé ne vont pas finir par m'abîmer les yeux. Je n'aimerais pas avoir à porter des lunettes. Si j'en avais, je suis à peu près sûre que je n'arrêterais pas de les perdre !
- …ande d'applaudir les jeunes filles de l'Elite !
J'entends vaguement les applaudissements du public et essaie de sourire, le ventre de plus en plus noué. Ma mâchoire se crispe encore davantage quand le présentateur reprend :
- Avant de les interroger chacune leur tour sur leur place dans le cercle très privilégié de l'Elite, je crois que l'une d'entre elle à quelques mots à nous dire.
J'avale la salive. C'est à moi. Oh non !... On était tellement plus tranquille cette nuit, à jouer dans la salle aux glissades… Pourquoi faut-il maintenant que je m'adresse à tout Illeà pour leur raconter la mort de mon frère. ?! Malgré mes appréhensions, je n'ai pas d'autres choix que de m'avancer sur le plateau.
C'est fou, je ne suis pourtant pas souvent nerveuse lors d'un bulletin mais là, j'aimerais juste que les caméras tombent toutes en panne en même temps et que ce cauchemar puisse être reporté. Je repense aux lettres complètement absurdes que mes parents ont reçues ces derniers jours et je fais face au public. Parmi eux, peut-être que certain ont envoyé certaines de ces lettres…
Comment vont-ils réagir ?...
Je souffle. Après tout, le roi n'a pas exigé que la présentation de mes parents se fasse de façon officielle pour rien : si la population d'Illeà pense qu'on veut les cacher du public, ça sera encore pire. Et puis, c'est inédit que la famille d'une Sélectionnée arrive comme ça au palais : on doit bien une explication.
Je prends le micro que l'on me tend. Le silence total se fait autour de moi. Je souffle et commence :
- Bonsoir à tous.
Je prends une dernière petite pause avant de me lancer pour expliquer d'une traite :
- Beaucoup de vous sont maintenant plus au moins au courant : exceptionnellement, ma famille a été invitée à nous rejoindre au palais pour… Pour me soutenir.
Je regrette tout de suite la dernière phrase quand j'entends des chuchotements froissés monter du public devant moi. Je rectifie aussitôt :
- Je ne parle bien sûr pas d'un soutien qui concernerait la Sélection. Il est évident qu'aucun traitement de faveur ne doit être accordé à une seule Sélectionnée. Je voulais dire… Je voulais dire du soutien pour… Une affaire très personnelle. Qui concerne aussi toute ma famille.
J'avale ma salive et continue :
- Il s'agit en fait de la mort de mon frère. Il a été récemment attaqué. Il ne s'en est pas sorti. Et…
Je n'arrive pas à aller plus loin. Ces derniers jours la peine s'était estompée, mais en reparler est encore très difficile. Après un petit temps de silence pendant lequel j'en profite pour masser rapidement ma gorge crispée, je décide de conclure au plus simple :
- Bref. Ma famille est là pour passer avec moi cette épreuve difficile. Je vous présente donc mes parents, ainsi que mes trois frères. Louis, Janvier et Maxence.
Comme je ne sais pas comment m'éclipser après une fin si brute, j'ai le malheur de rajouter :
- Maintenant si vous avez des questions à ce sujet, je… Voilà. J'ai fini.
Mon estomac se resserre quand je vois une, puis deux, puis cinq, puis des dizaines de main se lever dans le public. Un brouhaha s'élève. D'abord léger, puis de plus en plus imposant. Le présentateur regarde un instant le roi, un peu paniqué, puis finit par prendre l'initiative de descendre de scène pour marcher vers la foule de spectateurs :
- Calmez-vous s'il vous plaît, lance-t-il au public. Je vais passer avec le micro près de chacun d'entre vous…
Oh non… Je suffoque presque. Qu'est-ce que j'ai fait ?!...
Alors que le brouhaha montant se calme peu à peu, je sens une pression immense apportée par tous ces regards rivés sur moi. Le public maintenant éclairé par un des projecteurs, je vois tous ces yeux qui me fixent intensément. Mais ce ne sont pas eux qui me font le plus regretter d'avoir lancé ces paroles. Comme si j'avais un poignard enfoncé dans le dos, je sens le regard du roi Maxon, derrière moi. Pas vraiment en colère, mais paniqué. Très paniqué. J'ai l'impression qu'il appréhende encore plus que moi les questions des spectateurs présents. Et je crois deviner pourquoi… Certaines de ces questions vont forcément le concerner. C'est inévitable. Il ne s'était pas préparé à cela mais il va devoir donner des réponses qui concerneront sûrement sa relation actuelle avec ma mère. Je suis désolée. Je ne voulais pas lui infliger cela…
- Bien. Merci à tous pour le calme. Ce petit… -intermède d'interview n'était pas prévu mais…
Quand le présentateur annonce ces mots, j'ai envie de me cacher sous terre. J'ai vraiment fait une gaffe. Mais maintenant que je leur ai proposé de poser des questions, on ne peut plus revenir en arrière.
- …mais pourquoi pas après tout… Bon. Commençons. Alors Monsieur…
Je vois un homme, l'air ni très âgé ni très jeune, se lever et prendre le micro sans un regard envers notre présentateur :
- Par qui la décision de faire venir votre famille au palais a été prise ?
J'avale ma salive et attend quelques secondes d'être sûre qu'il ait bien terminé, comme Rose nous a appris à le faire pour les interviews lors d'une de ses leçons. Je sais déjà quelle réponse il attend. Il veut entendre que l'idée vient du roi Maxon. Heureusement, je n'ai pas besoin de lui mentir pour lui donner une tout autre réponse :
- C'est une proposition de…
Je me stoppe. Je ne sais pas si c'est une bonne idée en fait… De leur révéler que c'est Valentine, une autre Sélectionnée de l'Elite, qui a proposé leur venue. A leurs yeux elle n'est qu'une Sélectionnée qui ne devrait peut-être pas avoir à provoquer ce genre de décision. D'ailleurs je ne sais même pas si les autres filles sont vraiment au courant que l'idée de base vient d'elle…
Je choisis de ne m'avancer qu'à moitié :
- Disons que, quand mes amies de l'Elite ici présentes ont essayé de me réconforter après l'accident, l'une d'elle a émis l'hypothèse que de voir ma famille me ferait du bien. Cette idée a fini par monter aux oreilles du prince Joshua Schreave qui l'a trouvée bonne.
Je souffle intérieurement. Ma réponse a l'air de bien passer. A la suivante…
Je sens que l'homme a envie de parler à nouveau mais le présentateur lui fait professionnellement comprendre que les autres ont aussi le droit à leur temps de parole. Il s'éclipse alors vers une autre personne ; encore un homme mais cette fois-ci plus jeune :
- Mais… Vous nous dites que le prince a pris cette décision. Je suppose que le roi a également donné son accord ? Il a aussi trouvé que c'était une bonne idée de faire venir votre famille… Vos parents… Votre père et… Votre mère ?
Et bien suppose ce que tu veux ! Que veux-tu que je te dise ?, je pense en entendant son air bourré de sous-entendu.
Malgré mon énervement, je ne laisse rien paraître. Je ne dois pas me faire avoir.
- Oui.
Je ne m'étends pas plus. Après tout, ça répond à sa question. Donc ça suffit. Je ne veux pas rentrer dans leur jeu.
D'autres questions plus banales s'enchainent. Le fait de savoir combien de temps ils vont rester –on ne se sait pas encore exactement–, seront-ils présents à tous les bulletins –en principe non–… Puis une femme qui doit avoir une dizaine d'années de moins que ma mère se lève à son tour, le micro en main :
- Je suis Alice. Excusez-moi mais j'entends vos réponses depuis le début de l'émission, je n'ai rien à vous demander personnellement, mais j'aimerais vous mettre en garde. Sauf votre respect Mademoiselle Leger –et je m'adresse également à vous, vos majestueuses majestés– mais le favoritisme n'est pas quelque chose que l'on s'attend à voir dans une Sélection. Ce genre de complot est-il vraiment raisonnable ?
Un sourire rude plisse mon visage, je fixe celle qui vient de parler du regard et lance presque inconsciemment :
- "Est-ce vraiment raisonnable ?". Vous vous contredisez. Je croyais que vous n'aviez "rien à me demander personnellement".
Je vois son visage se fermer nettement. Le flot de brouhaha reprend. Même sur l'estrade, l'aperçois du coin de l'œil quelques Sélectionnées échanger à voix basses.
- Vous ne répondez pas, continue d'une voix glaciale la femme qui s'agrippe au micro que le présentateur n'a pas réussi à lui reprendre discrètement. Vous ne démentez donc pas la ressemblance de l'invitation de votre famille avec un coup monté ?
Cette fois, ma colère n'arrive même pas à lui répondre. Je ne sais plus quoi avancer. Sans même évoquer le fait que ma mère connaisse déjà le roi Maxon, ils nous accusent déjà de complot… De coup monté. Je craignais bien un peu que la venue de ma famille au palais ne plaise pas à tous mais là c'est pire que tout…
Je vois le présentateur essayer de calmer la foule mais sans réel succès. Je me retourne vers le couple royal et me fond en un regard d'excuses profondes. Je n'ai pas voulu ça ! Puis je jette un coup d'œil à ma famille qui est comme recroquevillée sur elle-même. Même ma mère semble avoir un peu perdue de son assurance.
A ce moment, au-delà du chahut bruyant et oppressant qui s'est installé dans la salle, j'entends un râle autoritaire. Déterminé.
- Ok. C'est bon. Là j'en ai marre. Passez-moi un micro !!
Pétrifiée, je le vois se lever de son siège, les yeux pleins de colère. Il se rue sur moi.
- Désolé Victoria. Ne t'inquiète pas, ce n'est pas de ta faute. Donne, je vais arranger ça.
Je tends le micro que j'ai dans les mains. Je le tends à Joshua. Il s'avance jusqu'au bord de l'estrade. Une lueur de gravité presque dure dans son regard.
Un regard convaincu.
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La Sélection de Victoria (T3) - Alliance et dernières vérités
Novela Juvenil[Premier tome : La Sélection ; Descendance] [Deuxième tome : La Sélection ; Confidences] [Troisième tome : La Sélection ; Alliance et dernières Vérités] Plus la Sélection avance, plus Victoria se rend compte que ceux qui l'ont organisée n'en n'ont a...