Chapitre 10

70 4 0
                                    

- Bonne nuit Mademoiselle. Reposez-vous bien !
Je remercie mes caméristes.
- Vous aussi.
- Oui. Nous en avons bien besoin je dois dire, susurre Laurette l'air espiègle. La journée a été incroyable mais aussi très fatigante.
Je ne les entends qu'à moitié, l'esprit complètement ailleurs. J'essaie de leur sourire quand elles sortent pour me laisser enfin seule mais le cœur n'y est pas vraiment. Pourtant elles ont raison : cette journée a été formidable. Je devrais m'en réjouir davantage.
Non.
Je ne peux pas.
Je n'arrive pas à penser à tout le positif de cette journée et à en oublier la dernière heure… Heure durant laquelle nous nous sommes retrouvés Joshua et moi dans le bureau du roi. Je ne peux pas oublier ce que j'y ai vu. Je reste assise sur mon lit pendant une dizaine de minutes, immobile, sans arriver à réfléchir correctement. J'ai besoin de bouger. Je jette un coup d'œil près de ma porte de chambre. Je dois sortir un instant.
Quand je franchis la porte, je vois avec plaisir que le couloir est vide. Je sais que j'ai été l'une des dernières à être partie me coucher après la fête et j'en suis assez contente : la nuit est bien avancée et je vais pouvoir me changer les idées en me baladant en toute tranquillité. Je m'enfonce doucement dans le long couloir, sans trop savoir où aller pour commencer. Je me dirige à l'instinct, titubant parfois un peu. Les effets de l'alcool ne se sont pas encore totalement dissipés, cependant ma lucidité est plutôt bien revenue depuis ma vision de la photo dans le tiroir. Je dois dire qu'elle m'a fait l'effet d'un saut d'eau glacée sur la figure…
Je rentre dans le boudoir qui est déjà plongé dans l'obscurité. Pour trouver un peu de lumière, je m'approche des fenêtres, puis j'en ouvre une pour respirer l'air frais de l'extérieur. J'avale une bouffée froide mais revigorante. Le vent doux de la nuit me fait du bien. Machinalement, je scrute les jardins que j'aperçois de là où je suis. Soudain, mes yeux s'arrêtent : il y a quelqu'un dehors. Je me fige sans savoir quoi faire. A cette heure-là, ce n'est pas vraiment normal. D'autant plus que d'après ce que je distingue à travers l'obscurité, il s'agit d'un couple ne portant pas l'uniforme des gardes. Ils n'ont pas du tout l'air de faire une ronde d'ailleurs, mais plutôt de se promener tranquillement…
Je suis les deux silhouettes du regard. Elles sont légèrement éclairées par une petite lampe que porte l'une d'elle. Quand cette dernière tourne la tête vers le palais, je souris. Une volumineuse et éclatante chevelure rousse. C'est ma mère. Ce sont mes parents.
Je souffle. Je ne sais pas ce qui les a poussés à venir visiter le parc à cette heure. Peut-être n'avaient-ils pas sommeil après toutes les émotions de la journée. Je sais qu'ils ont fêté aussi vivement que moi les décisions de Joshua et du conseil des civils ; ils ont peut-être voulu prolonger un instant de bien-être rien que tous les deux.
J'hésite quelques secondes mais prends vite la décision de descendre à mon tour. Je sais qu'ils ne m'en voudront pas si je viens les rejoindre. Je ne pense pas pouvoir vraiment parler à ma mère de ce que j'ai vu tout à l'heure, je ne veux pas non plus gâcher leur promenade avec cette histoire… Mais je ressens le besoin d'être près d'eux. Près d'elle. Je lui en parlerai plus tard, quand je pourrais. Enfin… Si j'arrive à trouver les mots pour lui demander disons au moins un semblant d'explication…
Je file dans les escaliers, rejoins le long corridor et arrive bientôt dans le hall principal. Comme je pouvais m'en douter, deux gardes sont postés devant grandes portes. En me voyant arriver, ils se crispent une minute avant de demander d'une voix autoritaire :
- Qui est… ? Oh ! Miss Leger !, fait celui de droite en changeant de ton quand il me reconnait. Que faites-vous là ?
Sans me formaliser de ma tenue, ou du fait que je ne suis pas censée sortir la nuit, je demande :
- Bonsoir messieurs. Auriez-vous l'amabilité de m'ouvrir ? J'ai besoin de prendre l'air un instant. Et je sais que mes parents sont dehors.
A mes paroles, un flottement étrange se produit. Les deux gardes affichent un sourire entre gène et nervosité. Mais la seconde qui suit, ils se reprennent vivement. Celui de gauche tente de masquer son expression par une sorte de grimace, et l'autre semble faire tout pour éviter mon regard.
- Hum… Vos parents ? Ah oui… Bien. Très bien. C'est vrai, nous les avons vu passer et… Je vous ouvre tout de suite !
J'ai comme l'impression que son collègue n'est pas trop d'accord, mais il ne rajoute rien. Je ne dis rien non plus. Trop contente d'avoir pu sortir aussi facilement et sans aucune question : ce n'était pas gagné d'avance ! Enfin… Je suppose que ce sont ces mêmes gardes qui ont ouvert le passage à mes parents ; ils ont dû comprendre que je voulais simplement les rejoindre.
Une fois le grand battant ouvert, je passe en remerciant rapidement les deux gardes. Puis, j'accélère la cadence en me dirigeant vers l'autre côté du parc.
Je marche vite, sans courir pour autant, en regrettant intérieurement de ne pas avoir pris de source de lumière avec moi. Les murs du château sont toujours plus ou moins éclairés la nuit mais une lampe aurait rendu ma petite excursion plus aisée.
Enfin, j'atteins le flanc du château. J'aperçois de là la petite lumière que mes parents portent : ils se sont apparemment arrêtés sur un des bancs de pierre du jardin. Je cours vers eux. De plus en plus soulagée de les voir. Un petit moment avec eux me fera le plus grand bien.
Cependant, en arrivant à quelques mètres d'eux, je m'arrête.
- Victoria ?! Que fais-tu ici ?
Son ton ne présente aucun reproche. Il est au contraire bienveillant et elle ne semble pas dérangée le moins du monde par ma présence. Juste surprise.
Moi aussi je suis surprise.
C'est bien ma mère qui se tient là. Mais elle n'est pas avec mon père. Elle est en compagnie de Maxon.
Ne sachant absolument pas comment réagir, je bafouille :
- Votre Majesté ? Je ne m'attendais pas à…
Je fais mine de m'incliner poliment mais le roi me fait comprendre d'un geste rapide de la main et d'un sourire que ce n'est pas nécessaire.
- Je m'en doute. Désolée Victoria. Je ne sais pas ce qui t'a poussée à venir dans le parc mais tu dois en effet être étonnée. Et bien ta mère et moi nous prenions un peu l'air. En toute amitié.
Je grimace involontairement au mot "amitié."
Je ne peux pas dire que je n'ai pas confiance en ma mère. D'ailleurs ce n'est pas la première fois qu'elle passe du temps avec son vieil "ami". Ils ont déjà carrément sauté des repas pour se retrouver et mon père m'a déjà rassuré sur leur relation. "C'est tout à fait normal qu'elle ait besoin de parler à Maxon. Le passé est gravé.", m'a-t-il affirmé. Mais de les voir ensemble juste après avoir vu la photo… -d'un bébé ! C'est vraiment étrange.
- Je… Ce n'est pas… Enfin je comprends,  je lâche en me rapprochant. En fait, je vous ai aperçus depuis une fenêtre de boudoir et j'ai voulu vous rejoindre.
Ma mère m'invite à m'asseoir sur le banc à côté d'elle. Le roi se lève même pour me laisser sa place que je m'empresse de prendre. Je les observe un instant. Un flot de pensée m'envahit. Ils… Ils ont eu un enfant ? Tous les deux ? Ce n'est pas possible ! Mais comment ?! Cette photo était… … Ma mère ne me dit rien mais me prend dans les bras. Elle doit sentir que je ne me sens pas très bien sans savoir pourquoi. J'apprécie son étreinte mais quelque chose me dérange encore.

La Sélection de Victoria (T3) - Alliance et dernières vérités Où les histoires vivent. Découvrez maintenant