{1} Pilote

639 16 10
                                    

Personne ne peut expliquer ce qui nous est arrivé le sept avril deux-mille-treize. Certains disent que c'est impossible. D'autres que c'est un miracle. Tout ce que je sais, c'est que ce jour-là a changé nos vies à jamais.

Je m'appelle Ava Stone, je viens de fêter mes quinze ans et attends patiemment dans le hall de l'aéroport que notre avion nous ramène de nos vacances en Jamaïque. Si vous nous regardiez brièvement, au premier coup d'œil, nous avions l'air d'une famille américaine parfaitement normale. Mes parents Ben et Grace, fous amoureux depuis ma naissance quinze ans auparavant. Mon frère, Caleb, un garçon assez insupportable qui n'arrête pas de se chamailler avec moi. Et puis en face de nous, ma tante Michaela et ses parents, nos grands-parents. Ma grand-mère caressait les cheveux de Cal avec une sérénité que je lui enviais, tandis que je pianotais sur les touches de téléphone en attendant une réponse de Josh, mon petit ami. Malgré le décalage horaire, j'espérais de lui au moins un message avant le départ qui annonçait un long et pénible trajet.

À travers les apparences que nous tentions de sauver, tout n'était pas si parfait que nous l'avions prétendu durant ces vacances. Ma tante, qui vivait encore le deuil difficile d'un accident de voiture tragique qui avait emporté sa meilleure amie, tout en hésitant à prendre la décision la plus importante de sa vie : savoir si elle marierait ou non son compagnon, Jared, qui lui avait fait sa demande quelques jours avant notre voyage en Jamaïque. Et puis mon frère, Caleb, dont la leucémie continuait de ravager son frêle petit corps sans que nos parents ne parviennent à trouver le traitement adéquat. Assise sur mon siège inconfortable, je sens une petite tête scruter mon écran par-dessus mon épaule :

— Cal..., devinai-je.

— Je peux jouer aux jeux sur ton téléphone ? me demanda-t-il en faisant les yeux doux. S'il-te-plaît, s'il-te-plaît, s'il-te-plaît...

— On se calme, m'agaçai-je. Personne ne jouera à quoi que ce soit, d'accord ? À ton âge, j'avais à peine droit à regarder la télévision...

— Mais c'est trop long !

— Et bien...

Je fus interrompue par une voix féminine qui fit écho dans le micro de l'aéroport, claironnant d'une voix douce :

— Les passagers du vol cinq-cent-trente-sept pour New York, aéroport JF Kennedy, votre attention s'il-vous-plaît. Le vol a été surbooké. Nous offrons des bons de voyage d'un montant de quatre-cent dollars pour tous ceux qui acceptent de prendre le prochain vol.

Aussitôt, ma tante Michaela s'est relevée de son siège en soupirant de soulagement :

— Oui... c'est pour moi !

Mon père regardait ma mère avec insistance, qui a tout de suite su où il voulait en venir :

— Non.

— C'est quatre-cent dollars par personne ! justifia mon père. C'est notre prochain voyage à la clinique Mayo.

— Je reste avec papa, annonça Cal.

— Idem, décidai-je. Tata Michaela aura bien besoin d'un peu de compagnie féminine...

— Alors allons-y.

Je me suis relevée non sans mal, les muscles fessiers endoloris par l'inconfort de ma chaise et range mon portable dans ma poche : je devais avoir les mains libres pour porter ma lourde valise. Déjà épuisée, je noue ma chemise à carreau autour de ma taille pour m'assurer de ne pas la perdre et pose mon casque sur mes épaules. C'est ainsi que le destin a décidé de la suite : mes grands-parents et ma mère prendraient le premier vol, tandis que tante Michaela, Caleb, papa et moi prendrions le suivant, numéro huit-cent-vingt-huit. Nous avons brièvement enlacé nos proches pour les quitter le temps du voyage, suivis d'un signe de main. C'est assez ironique comme une toute petite décision paraissant insignifiante pouvait bouleverser une vie... ou alors la sauver.

MANIFEST - The Calling (Parties 1 à 4)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant