Chapitre 5

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Je dévalais les escaliers et me retrouvais au rez-de-chaussée en quelques secondes. Je n'avais même pas pris mes écouteurs, j'allais être seule avec mes pensées sinistres. Je n'avais pas entendu ma porte s'ouvrir derrière moi, ce qui me montrait qu'il ne m'avait pas suivi. Une fois que j'eus posé un pied sur le goudron je ne prêtais plus attention à ce qui se passait autour de moi et je me mis à courir. Je basculais dans mon monde à moi. Seule ma course comptait, rien d'autre n'existait.

J'avais tellement de colère en moi que j'avais envie de partir très rapidement, mais je voulais tenir sur la longueur, ne pas rentrer tout de suite, je ne voulais pas me retrouver seule chez moi, avec mes pensées. Je remontais à l'envers toute notre conversation. L'appel de mon père avait pris tout son sens et je lui en voulais de ne pas m'en avoir dit plus. Il aurait pu me prévenir que son boulot me mettait en danger. Mais au final, c'était lui qui avait payé de sa vie sa volonté de mettre les méchants sous les verrous. Je n'arrivais pas à lui en vouloir de m'avoir mis en danger par son boulot. Etait-ce parce que j'en avais l'habitude ? Après tout, ce n'était pas la première fois. Et ma réaction n'était pas étonnante.


Je me souvins que, quand j'avais neuf ans, mon père était rentré du travail avec une mine préoccupée. Je m'étais avancée vers lui pour l'embrasser. Il m'avait fait assoir sur le canapé, à côté de lui. Ma mère était déjà partie depuis plus d'un an. Il m'avait dit :

- Ma Princesse, ton Pap's fait un travail difficile, et il a beaucoup d'ennemis, tu le sais, pas vrai ? 

Très contente qu'il s'adresse à moi comme à une grande fille, j'avais solennellement hoché la tête. Je me demandais où il voulait en venir.

- Et ces ennemis veulent parfois se venger. Mais je suis un peu trop puissant pour eux, c'est normal, je les ai arrêtés. Alors, ils veulent me faire du mal en te faisant du mal. 

J'avais trouvé cela affreux qu'on veuille faire du mal à mon père. Et j'étais scandalisée que cela soit possible. Mon père m'avait alors expliqué que ce n'était pas tous les 'méchants' qu'il arrêtait qui voulaient cela. Mais qu'il avait mis en prison une personne vraiment terrible et que celle-ci avait proféré des menaces contre moi. Il avait vraiment insisté sur la dangerosité du coupable.

- C'est pour cela que Fred et Kevin vont t'accompagner tous les jours à l'école et t'y attendre. Ils seront aussi devant la maison quand tu rentreras. 

A l'époque, j'avais conquis durement mon indépendance et j'avais obtenu le droit d'aller à l'école toute seule. Je ne restais jamais seule à la maison puisque Eloïse, la fille de la voisine, qui était déjà une adolescente, m'y attendait et restait avec moi jusqu'à ce que mon père rentre. J'étais déjà une forte tête et mon père m'avait entendu crier ce jour-là. J'avais dit que c'était hors de question que je ne puisse pas faire mes trajets toute seule et que je n'avais pas besoin de garde du corps puisque je savais me défendre et que les méchants n'avaient qu'à bien se tenir. Mon père avait acquiescé. Et je pensais avoir gagné la bataille. Jusqu'à ce que je découvre, quelques mois plus tard, une fois la menace disparue, que Fred et Kevin m'avaient suivi sans que je les voie pendant tout ce temps. Mon père avait toujours tout fait pour me protéger.


Il ne serait plus jamais là pour moi. Qui allait me protéger ? J'avais toujours imaginé que mon père serait présent éternellement. Il ne pouvait pas mourir après tout, il avait déjà survécu à plusieurs enquêtes assez musclées. Je ne comptais plus les fois où il m'avait appelé de l'hôpital pour me dire de passer le voir. Et surtout, les deux appels de son chirurgien. Les deux fois où il avait dû être opéré en urgence. Je me souvins de ces heures d'angoisse, sans nouvelles. Mais je ne vivrais plus jamais ces horribles instants. Mon père ne se retrouverait plus jamais à l'hôpital, il n'irait plus nulle part...

Tegan, fille de flicOù les histoires vivent. Découvrez maintenant