Chapitre 3

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J'étais encore perdue, il avait employé l'imparfait pour décrire sa relation avec mon père. Enfin, il avait d'abord utilisé le présent, puis le passé... Ce n'était pas normal, il n'aurait pas fait cette erreur si... s'il ne s'était rien passé de grave. Non, mon Dieu non, faite que mes pensées ne s'avèrent pas réelles. Mais le pire arrive toujours. S'il avait employé l'imparfait... Je savais qu'elles étaient les conséquences... Je ne voulais tout simplement pas l'admettre... Cela reviendrait à accepter ce qu'il s'était produit. Et je ne le voulais pas. Pas tant que j'avais encore la possibilité d'y croire...

Je n'avais toujours pas prononcé un mot, je restais en face de ce type attendant qu'il me déblatère le laïus qu'il devait répéter depuis qu'il savait qu'il allait devoir prévenir la famille de son patron...

- Je m'appelle Ronan, je suis dans l'équipe supervisée par ton père. Je ne sais pas trop ce qu'il t'a dit de l'affaire sur laquelle nous travaillons... 

Il avait l'air d'attendre que je réponde. Il pouvait rêver, je n'avais qu'une envie, qu'il me dise ce que je savais déjà. Je voulais l'entendre à haute voix. Et pourtant, je savais que cela ne changeait rien, dit ou non, mon père devait être dans une sale posture pour qu'il m'envoie un collègue directement chez moi.

Je n'aurais pas pu parler. Une énorme boule avait pris place dans ma gorge. C'était comme si le monde s'était arrêté de tourner.

- Il y a eu une opération aujourd'hui. Cela aurait dû être un simple contrôle de routine. Ton père était entré seul dans cet entrepôt, il n'aurait rien dû y avoir et surtout personne. Tegan, je suis vraiment désolé. Ton père s'est fait descendre. 

Je le fixais, sans parler. Je ne voulais pas y croire et pourtant dès que je l'avais eu, j'en avais eu la certitude.

L'entendre à haute voix était pire que ce que je pensais. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort. Un immense bourdonnement résonnait dans mes oreilles. Je paniquais. Je n'arrivais plus à respirer. La tristesse qui s'était fondue en moi m'empêchait de respirer. Je cherchais mon air toujours plus. Je me battais pour respirer.

J'avais reculé toujours plus loin pour mettre de la distance entre moi et ce Ronan. Je ne voulais plus le voir. C'était de sa faute si j'étais dans cet état. Une petite voix lointaine me répétait qu'il n'y était pour rien, mais je ne lui prêtais pas attention.

Je voyais l'inquiétude dans les yeux de l'homme en face de moi. Il cherchait à s'approcher de moi. Il voulait m'aider. Mais il ne pouvait rien faire. Rien au monde ne pourrait me ramener mon père. Il était mort. Parti. Envolé...

Ronan s'approcha de moi, il allait poser sa main sur mon épaule, mais, abattue par le chagrin, je me laissais tomber sur le sol. Pas une larme ne sortit de mon corps, la souffrance était telle que je n'arrivais même pas à pleurer. Je ne voulais pas y croire.

Je me souvins que je l'avais eu au téléphone quelques heures plus tôt, il était encore vivant à ce moment-là. Comment tout avait pu basculer si vite ? Sans que rien ne puisse être anticipé ? Et je ne lui avais même pas dit à quel point je l'aimais. Je ne savais pas comment j'allais pouvoir vivre sans lui. Mon père avait toujours été là pour moi, il m'avait toujours soutenu, dans toutes les épreuves que j'avais dû vivre. Il ne serait plus jamais là... Les larmes se mirent enfin à couler. Je n'eus aucun sanglot, simplement des larmes qui tombaient de mes joues sur le sol. Je venais de perdre mon unique famille.

J'avais l'impression que mes yeux ne cesseraient jamais de pleurer. Comme si cette douleur n'allait jamais disparaitre. Je me sentais si seule. J'avais besoin de mon père pour surmonter cette épreuve... Mais ce n'était pas possible... Il n'était pas là pour me rassurer... Il ne le serait plus jamais.

- Est-ce que je peux prévenir quelqu'un pour toi ? 

Me demanda l'autre type qui était encore présent. Je bougeais simplement la tête pour lui dire que non, ça finirait par aller. Au fond de moi, je sentais que ça n'irait jamais plus. Mais je ne voulais pas le lui dire.

Je me disais qu'il allait finir par partir, me laisser pleurer tranquillement ma perte. Mais non, il restait là. Il me rejoint sur le sol et m'aida à me relever. Son comportement me laissait deviner qu'il n'avait pas fini avec les annonces, qu'il avait encore des choses à me dire. Des choses que je ne voudrais probablement pas entendre. Dans un moment d'humour noir, je me demandais s'ils avaient tirés au sort pour savoir lequel des collègues de mon père allaient devoir venir me parler. Mais c'était affreux de penser cela... Je m'en voulu presque aussitôt. Si seulement l'autre mec pouvait me foutre la paix. C'était la seule chose que je voulais de sa part. Il avait fait son job en m'annonçant la mort de mon père. Ne pouvait-il pas partir maintenant ? Ne pouvait-il pas comprendre que j'avais besoin d'être seule ? C'était bien un homme lui... Il ne comprenait pas ce dont j'avais besoin...

Mais le savais-je moi-même ? En fait, je n'avais qu'une envie, me rouler en boule dans mon lit et pleurer. Il fallait aussi que je le dise à Del, je la voulais avec moi, j'avais besoin d'elle. Je voulais m'accrocher à elle. Être sûre qu'elle ne partirait jamais. Sans elle, je me retrouverais toute seule...

Et je ne pourrais pas aller travailler demain, il fallait que j'envoie un texto à Éric pour le lui dire... C'était très pragmatique de penser à cela. Mais je me raccrochais à cela pour éviter de me laisser submerger par la douleur. Elle avait pris naissance dans mon cœur au moment de l'annonce, mais désormais elle rayonnait dans tout mon corps. Et j'avais froid, terriblement froid alors même que je venais de prendre une douche bouillante. Je frissonnais. Mon souffle était enfin revenu. Je parvenais à respirer presque normalement.

- Je... Je vais aller enfiler un sweat. Tu peux attendre ici ou t'en aller. 

Dis-je à Ronan. 'Pars, va-t'en s'il te plait, mes yeux le suppliaient de partir loin.

Je pris la fuite et m'enfermais dans ma chambre. C'était ce que je faisais toujours : fuir les gens. C'était tellement plus facile ainsi. Je voulais qu'il parte. J'espérais qu'il sauterait sur l'occasion pour claquer la porte de mon chez-moi et pour s'en aller. Je ne voulais plus voir sa tête d'inconnu. J'avais besoin de temps avant de pouvoir affronter le monde à nouveau. Besoin de Del pour surmonter tout cela. Et à la place, j'avais cet espèce de... Je ne le voulais pas. Je voulais qu'il s'en aille.

Je m'écroulais dans un coin de la pièce et serrais mes genoux près de ma poitrine. J'oubliais qu'un homme m'attendait dans la pièce d'à côté et je laissais libre court à mon chagrin.

Tegan, fille de flicOù les histoires vivent. Découvrez maintenant