Le Sauveur aux deux couleurs

Chapitre 15

Sur ces belles paroles, mon supérieur passe devant moi et m'invite à le suivre. J'ai honte de l'admettre mais ça fait une éternité que je n'ai pas mis les pieds à la bibliothèque. Quand j'étais jeune Elite, j'y passais des heures entières, avide de connaissances.

Je ne sais pas pourquoi Vince veut y aller avec moi. S'il a une idée derrière la tête, de toute manière, il ne me le dira qu'au dernier moment. Il n'a pas toujours travaillé derrière un bureau, je sais qu'il était un agent de terrain, un excellent même. Tôt ou tard, je quitterai moi aussi l'action, remplacé par la prochaine génération.

Quand Vince ouvre les portes de la gardienne des livres, je me souviens pourquoi je trouvais cette bibliothèque grandiose : un immense plafond imitant la coque d'un bateau, deux étages parfaitement parallèles remplis d'ouvrages sur huit rangées, des inscriptions en lettres dorées pour s'orienter dans les allées et pour glorifier la sacralité de l'ensemble, des bustes à l'image de nos prédécesseurs et des fondateurs de la Congrégation.

Je respire un bon coup l'odeur du papier mêlé à la poussière, au temps qui passe.

Alors que mon chef s'avance vers une allée, je sens soudainement une main se saisir puissamment de mon poignet. Je panique et m'apprête à foutre un coup de poing à celui qui ose faire ça mais c'est Sélianaël qui apparait devant moi, suivi de Mona.

- Désolée Soohan, je lui ai dit de rester allongé mais il n'a rien voulu savoir. Il voulait absolument te voir donc on est venus jusqu'ici, me raconte mon amie en version abrégée j'imagine.

- Merci Mona, dis-je avant de me tourner vers le Protecteur, tu es sûr que ça va Sélianaël ? C'est pas raisonnable de... hey oh !

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que je me fais tirer vers l'un des balcons de la bibliothèque. L'alterien ouvre la fenêtre et pose nos mains sur la balustrade.

Je remarque que la nuit pointe déjà le bout de son nez. Mon ami me tourne le dos, perdu dans une contemplation silencieuse, avant de se tourner vers moi. Sa silhouette est sublimée par les lumières des immeubles environnants qui forment malgré tout un très joli ciel industriel.

- Désolé d'agir si impulsivement, confesse mon ami.

- Ce sont les médicaments qui te font ça ? Tu aurais dû rester couché, ce n'est pas raisonnable ce que tu fais.

- Je vais faire bien moins raisonnable, pardonne-moi.

Sans prévenir, sa main se pose sur ma joue, délicatement, puis c'est au tour de ses lèvres de frôler les miennes. D'abord hésitant, son baiser raffermit son emprise sur ma bouche, sa main glisse sur ma hanche. Mon cerveau est totalement déconnecté.

- Je retourne chez toi pour me reposer, souffle le Protecteur contre mon oreille. On se voit plus tard.

Il pose son front contre le mien avant de sauter gracieusement par-dessus le balcon. Le temps de me remettre de mes émotions, il est déjà bien loin, je ne distingue que sa silhouette au loin, dans la nuit.

Qu'est-ce qui vient de se passer là ?

Sélianaël vient de m'embrasser ?

Pourquoi ?

Ne me dites pas qu'il a des sentiments pour moi !

Merde, merde merde. Je suis censé faire quoi moi ? On n'embrasse pas les gens comme ça enfin !

Bon j'aurais le temps de lui parler plus tard, pour l'instant j'ai laissé Vince en plan. Quand il me voit revenir, je sens à son sourire à peine dissimulé qu'il se fiche légèrement de ma tronche. Mouais, il a deviné. En même temps, j'arbore un sourire niais de contentement, ça n'a pas pu lui échapper.