Prologue

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PDV Nora

Une fournaise, c'est le seul mot qui me vient à l'esprit.

Je remonte difficilement les escaliers après ma journée de travail. Les enfants sont épuisés. Tenir sous cette chaleur jour et nuit devient difficile à vivre.

La Terre n'est plus qu'un cimetière à ciel ouvert. Partout où l'on regarde, on voit des villes fantômes, abandonnées à la poussière et aux tempêtes de sable qui effacent tout souvenir d'une civilisation jadis florissante. Les arbres, autrefois porteurs de vie, ne sont plus que des silhouettes calcinées, et les rivières ne sont plus qu'un mirage.

Les gémissements de la chaleur se répercutent sur les murs érodés des bâtiments en ruines. Nos vêtements collent à notre peau, comme une seconde couche de souffrance. Il n'y a plus d'ombre, plus de répit, juste ce soleil brûlant qui transforme chaque goutte de sueur en un rappel de notre lente agonie. Parfois, je me surprends à regretter le gel. Oui, il engourdit nos membres jusqu'à la douleur, mais au moins, il anesthésie les émotions, les peurs, tout ce qui pourrait encore nous rattacher à l'idée de survie.

Soit nous sommes frigorifiés jusqu'aux os pendant le gel, soit nous mourrons de chaud pendant la fournaise. Il n'y a pas vraiment de demi-mesure. Enfin si, nous avons un laps de temps d'un mois entre ces deux saisons où la température est plus vivable. Ma préférée est l'éveil, lorsque le gel se dissipe et que nous pouvons apercevoir un peu de végétation avant qu'elle ne brûle sous le soleil ardent. Et nous avons aussi le crépuscule qui annonce cinq mois de nuit quasi totale.

En entrant dans notre maison, je pianote sur le tableau digital pour envoyer quelques bouffées d'oxygène dans l'habitacle et nous retirons nos masques. Je prends ensuite un chiffon pour essuyer le visage des enfants. Ils vont se mettre en pyjama et je leur fait boire un fond d'eau afin d'hydrater leur gorge desséchée.

J'ai hâte, encore quelques heures.

Pendant qu'ils dorment paisiblement, je commence à préparer les bagages. Le strict nécessaire, porté pendant la période de l'éveil. De toute manière, je n'ai que quatres sacs. Même pas une valise à roulettes ! La route va être longue, autant ne pas se surcharger.

C'est exténuée que je me décide à me coucher sur ce qui nous sert de canapé. Nous avons une chambre avec deux petits lits, une salle d'eau inutile et insalubre avec wc, une petite cuisine et un salon qui ressemble plus à un hall. Je dis inutile car les ressources en eau de la planète s'amenuisent et nous n'y avons accès que ponctuellement.

C'est bientôt fini.

Demain, nous saurons ce que c'est de respirer, de ne plus vivre sans savoir si nous mourrons gelés ou desséchés. Je suis pétrifiée à l'idée de nous envoyer dans un lieu pire que la mort sur cette Terre. Pourtant, si nous restons ici, c'est bien ce qui nous attend. Chaque jour, nous perdons des proches. Nous pleurons nos disparus au point de ne plus rien ressentir, comme si c'était devenu une norme. Les enfants grandissent et leur corps ayant trop subit depuis leur naissance, ils deviennent trop faibles pour survivre face aux conditions extrêmes. Je dois à tout prix sortir mes enfants de ce schéma morbide.

La culpabilité est omniprésente, comme cette sueur qui nous étouffe. Parfois, je me demande comment nous avons pu en arriver là. Nous avons échoué. Nous avons laissé la Terre mourir sous nos yeux et maintenant, ceux que nous laissons derrière nous devront porter le fardeau de notre échec.

***

Le matin, je réveille les enfants après avoir terminé les préparatifs. Autant qu'ils dorment le plus possible. Je ne sais pas à quoi m'attendre dans les prochains jours donc ils doivent être reposés. Quand j'entends la clé tourner dans la serrure, il faut peu de temps à mes marmottes pour débouler dans le salon afin d'accueillir notre invité.

- Mes chéris ! fit-il en les embrassant avec un grand sourire.

Marc, celui qui a été un temps l'amour de ma vie mais qui restera à jamais celui que j'ai aimé plus que tout au monde. Mon ancre, ma bouée, mon espoir d'une vie de bonheur dans ses bras.

Il les encourage pour le voyage qui nous attend, mettant l'accent sur autre chose que son absence dans cette nouvelle vie. Je sais que, dans le fond, son cœur se déchire à l'idée de voir ses petits partir à des années lumière de lui. Mais c'est un bon père, il les aime, alors il ne laisserait pas passer leur chance de quitter cet enfer pour des désirs égoïstes.

C'est quelque chose que j'ai toujours aimé chez lui.

Un regard dans ma direction et je me détourne en m'affairant à autre chose. J'ai trop mal de les voir se dire au revoir. J'espère que cela n'est pas un adieu.

Avant de partir, j'ai eu à affronter une autre séparation, plus déchirante encore. Mes parents... Ils m'ont regardée avec des sourires résignés, mais leurs yeux trahissaient la vérité. Nous savions tous que ce voyage était une chance que nous ne pouvions leur offrir. Ils resteront ici, sur cette Terre agonisante, en espérant que Sarili leur accorde un jour le droit de nous rejoindre. Mais une partie de moi sait que ce n'est qu'un rêve pour calmer mes cauchemars. Je leur ai dit au revoir, les enfants aussi, avec toute l'innocence de leur âge. Ils ne savaient pas que nous ne les reverrions probablement jamais. Je m'accroche pourtant à l'idée folle qu'ils nous rejoindront un jour. Que nous serons réunis. Mais ces adieux avaient le goût amer de la fin.

Marc m'aide à habiller les enfants et à leur mettre leur masque pour sortir. On emporte ainsi nos affaires et nous quittons cette maison sans regret. On a tellement peu que cela tient dans nos baluchons. Nous prenons une navette bondée pour arriver au point de rendez-vous et nous commençons le long chemin menant vers notre échappatoire.

Un dernier au revoir, un dernier baiser, un dernier câlin et quelques larmes. Nous devons avancer sans lui, sans nous retourner, en espérant nous retrouver. Je pense à mes enfants, à l'avenir qu'on va leur offrir, à la bouffée d'oxygène qui remplira bientôt leurs poumons.

Nous y voilà, notre bouée de sauvetage droit devant.

Et c'est ainsi que commence notre grand voyage.

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Fin du prologue.

Le Coeur sur Terre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant