Terre d'amertume [Embry Call]

|6| Un triste fardeau

Au lendemain du festival, Théo prit un malin plaisir à taquiner sa sœur sur sa proximité avec Embry. Ensommeillée et un peu alcoolisée, elle avait d'abord complètement oublié avoir fini affalée contre le quileute dans la voiture. Elle s'en sentait affreusement embarrassée. Néanmoins, l'émotion qui dominait était la frustration. En se remémorant la journée de la veille, elle ne put que se rappeler le plaisir qu'elle avait eu à la proximité d'Embry. Et c'était tout le problème, car elle savait que ses espérances étaient vaines. Embry avait été, semble-t-il, très clair.

Ces pensées occupaient l'esprit de la jeune femme alors qu'elle rendit plus tard visite à son oncle.

— Tu sembles tracassée, lui fit remarquer Billy.

Amélia ne cessait en effet de se triturer les ongles, de façon obsessionnelle. C'était ça ou se lever et tourner en rond dans la pièce. Elle était simplement perdue.

— Je le suis un peu, admit-elle.

— Qu'est-ce que c'est ? Tu t'inquiètes encore pour Théo ?

La jeune femme secoua la tête. Elle se fit la réflexion que, pour la première fois depuis longtemps, il ne s'agissait en effet pas du tout de Théo. Elle pensa à ce qu'Embry lui avait dit, qu'elle s'était oubliée elle-même en faisant passer les besoins de Théo avant les siens. Comme il était ironique qu'elle pense enfin à elle et que rien ne tourne comme elle l'aurait souhaité.

Sans réponse, Billy s'impatienta et sépara les deux mains de Amélia, pour interrompre son geste obsessionnel.

— Tu vas finir par te faire mal, dit-il. Parle, ça vaudra mieux.

Sa nièce soupira. C'était trop puéril pour qu'elle veuille parler de tout ça à Billy. D'un autre côté, ils avaient longuement parlé de la relation entre Emmie et Joshua. Il savait ce que c'était que d'être jeune et d'éprouver des sentiments.

— Je crois que je marche sur les traces de ma mère, finit-elle par avouer.

— Comment ça ? s'étonna son oncle.

— Je crois que je veux quelque chose que je ne peux pas avoir. Comme Emmie a voulu avoir Joshua.

Amélia jeta un œil vers Billy pour observer sa réaction. Elle s'attendait à le voir sourire devant la futilité de ses problèmes d'adolescente, mais il demeura parfaitement sérieux.

— Puis-je te demander quelle est cette chose que tu veux mais que tu ne peux avoir ? Ou plutôt, ce quelqu'un.

La jeune femme poussa un nouveau soupir. Elle décida ensuite qu'elle n'avait rien à perdre en avouant la vérité à Billy. De toute façon, elle n'était plus certaine de duper grand monde et ce n'était qu'une question de temps avant que tout le monde découvre le pot aux roses.

— Embry, finit-elle par déclarer.

— Embry... répéta Billy.

L'oncle d'Amélia se repositionna dans son fauteuil et observa un instant le vieux plafond de sa cuisine. Par réflexe, Amélia observa également le plafond, comme si elle pouvait y trouver des réponses à ses problèmes.

— C'est stupide, reprit-elle. Je vais repartir d'ici à la fin de l'été, et moi je m'entiche d'un garçon du coin. De toute façon, il m'a dit qu'il ne pouvait pas être avec moi. Mais il faut croire que je suis un peu comme Emmie, et une partie de moi n'a pas du tout envie d'abandonner. L'autre partie, en revanche, a vraiment envie que j'arrête d'être aussi stupide.

— Il est difficile d'écouter la voix de la raison quand cela touche aux sentiments, fit remarquer son oncle.

— C'est une certitude, oui, concéda Amélia. Mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Il n'existe aucun avenir pour moi et Embry. Il me faut passer à autre chose, mais comment ? C'est très frustrant.