3 | Nouna

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— Tu aurais pu rester avec nous, dit Chayton en se garant devant la clinique.

Les restes de Ian s'étaient éparpillés aux quatre vents, rejoignant une quelconque entité supérieure qui échappait à tous les vivants. Je me sentais épuisée, alors même que ça n'avait pas duré des heures. Beaucoup de discussion entre les uns et les autres, beaucoup de regards qui glissaient sur moi. J'en savais la raison. Elle tenait au dossier qui attendait sur la table de la cuisine à l'étage.

Le testament de Ian.

Tout ce qu'il léguait. Et à qui surtout. Autant vous dire que tout donner à une Terra était surement une première.

Vieux fou.

S'il avait encore été de ce monde, je l'aurais secoué dans tous les sens pour lui faire entendre raison. À défaut de pouvoir agir, j'allais m'ouvrir une bonne bouteille de vin et me la siffler pour anesthésier un peu de toute cette douleur qui se logeait au creux de mon cœur.

— Je préfère vous laisser entre vous, si tu vois ce que je veux dire.

Je ne me sentais pas la force de supporter les œillades peu amènes de Lincoln et des autres abrutis. Je souhaitais un peu de tranquillité. Au moins pour ce soir. Et Chayton pouvait le comprendre. Je ne comprenais d'ailleurs pas très bien ce qu'il faisait encore ici, avec moi. Ian, mort, il n'avait plus aucune obligation à mon égard, si tant est qu'il n'en est jamais eu. Pourtant, il était là, m'observant, le moteur coupé. Je savais ce qu'il attendait de moi. J'ignorais quelle bonne étoile m'avait menée ici plus jeune et quel hasard m'avait poussé sur le chemin de Ian et donc de Chayton. Je connaissais la haine des lycans de l'Empereur pour les Terras et vice versa. Pour autant, ça m'avait fait l'impression que deux marginaux se fracassaient l'un contre l'autre. Dès lors que Ian avait débarqué avec moi dans sa vie, Chayton avait été forcé d'ouvrir sa porte. Et les membres de la meute étaient devenus des dommages collatéraux. Rien que ça.

— Les prochaines semaines vont être compliquées, Nouna, lâcha Chayton. Avec son testament, Ian n'a pas compris dans quelle merde il te mettait. La clinique se trouve sur le territoire du Kaizer et tu es une–

— Terra, oui, le coupai-je, cinglante.

Je me frottai les yeux, fatiguée, pressée de rentrer chez moi et d'oublier toute cette journée qui n'en finissait pas.

— Pour l'Herre du coin, tu n'existes pas. Ce qui fait de toi un caillou dans une chaussure dans le meilleur des cas.

Je me confrontai au mépris des Terras depuis mon plus jeune âge.

— Attends-toi à recevoir de la visite. On dit qu'un nouveau Koning a été nommé et à mon avis, il ne voudra pas s'encombrer d'un problème si dérisoire à ses yeux.

Ses mots me blessèrent plus que je n'aurais voulu l'admettre. Où que j'aille, ça finissait toujours de la même façon. Sans Ian avec moi, il n'y avait plus personne pour me protéger de l'ignorance des lycans du coin. Pour les humains, les camps de Terras étaient tout au plus une secte, bien que le gouvernement ait toujours été transparent sur la question problématique de notre existence.

Nous ne reconnaissions aucune autorité, donc d'un côté, c'était nous qui avions lancé les hostilités. Aux yeux de l'Empereur, nous représentions un problème ; une épine plantée dans un coin sensible du pied.

— Merci de ton inquiétude, Chay, mais je peux me débrouiller.

Après tout, c'était l'entière vérité. Du genre dur à accepter, mais pas moins réel pour autant.

— Tu connais la solution, Nouna. En fait, tu n'as que deux choix possibles.

Ouais.

Passer la frontière implicite entre le camp et le territoire de l'Herre et y rester pour le bien de tous, ou entrer dans la meute de Chayton. L'idée du siècle qui devait empêcher Lincoln de dormir. De toute manière, j'ignorai si c'était possible d'un point de vue légal.

LES MAINS DE POUVOIR Tome 2 Fragmented Désire [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant