30 | Nouna

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L'animal gémit.

L'animal couina, cherchant la meute. Quelque chose se pressait contre lui. Petite boule de poils.

Fragile.

Même pas un casse-croûte. Un membre de la meute. Petit et chétif. Malade, mais vivant. L'animal retrouvait son odeur sur le petit chat. Il pouvait le laisser contre lui. Pas à manger.

Un membre de la meute.

L'autre était mort.

Feu. Peur. Douleur.

L'animal connaissait tout ça. Il savait. Il comprenait. Il vivait dans deux corps. Il partageait ses pensées avec un bipède. Son bipède.

Il n'avait jamais vraiment été un animal. Pas tout à fait. Mais maintenant, son bipède souffrait et pleurait. Cette fois, c'était le bipède qui restait à l'intérieur, caché, se terrant à la manière d'un animal blessé.

À l'agonie.

C'était donc l'animal qui devait protéger. Protéger la meute, protéger le bipède. En restant caché, ça irait. Pas de feu ici, juste la mort.

Le chat se redressa et disparut, courant sur ses trois pattes. L'animal ne bougea pas.

Fatigué.

Assoiffé.

Affamé.

L'animal couinait. Il appelait.

Mal. Mal. Mal.

Le bipède avait tué tous les animaux autour d'eux. Il ne restait que des carcasses, pas bonnes à manger. Non.

L'animal sentait les effluves de la maladie.

Pas bon pour animaux, ça. Pas bon du tout. Alors tous les autres avaient décampé. Loin, très loin du bipède et du lycan.

L'animal couinait.

Mal. Douleur.

Comment avaient-ils tué tous les animaux ? Comment ?

L'animal fourra sa truffe sous sa patte, son poitrail se soulevant vite et fort.

Mal. Mal. Mal.

Du mouvement tout près, mais l'animal ne broncha pas.

Protéger le bipède.

Protéger son humaine.

L'animal savait faire. Depuis toujours. Même si parfois ça coûtait. Même si parfois c'était douloureux.

— Nouna.

Un murmure.

L'animal sentit un autre lycan, tout près. Tout près. Juste derrière.

Le chat revient se frotter contre l'animal.

Un long silence s'étendit un moment.

— Morbus.

La voix ne contenait aucun pouvoir, mais ça résonna dans l'animal et alors, il ne lui fut plus possible de l'ignorer, de l'étouffer.

Le changement fut terrifiant. Le froid s'insinua. Et la Chose posa son regard sur l'homme.

Plus un animal.

Plus l'humaine.

Mais ce froid. Cette sensation.

Cette appellation.

L'homme ne sembla pas avoir peur. Dans ses yeux brillait son animal à lui. Son autre lui.

Son reflet d'âme.

— Je sais que tu es là, Nouna.

Douce voix.

La Chose se rétracta, n'ayant pas envie d'attaquer, de mordre ou de faire mal.

Elle se retira en un lieu lointain et profond, là où le pouvoir grondait d'un tonnerre effroyable. L'homme attrapa le museau de l'animal et le pressa fort entre ses doigts.

— Où est-elle ? interrogea l'homme.

L'animal couina, son haleine balayant le visage humain devant lui.

Bipède. Où était bipède ? Là, cachée. Cachée parce que triste.

Mais ça, l'animal ne pouvait pas le dire. Il ne pouvait pas parler en étant sous sa forme.

Nouna. Nouna.

Nouna.

Son reflet d'âme à lui.

Où était-elle ?

Nouna ?

Nouna ?

L'animal se tut. L'homme se recula et les os changèrent. Ils se déplacèrent et se reformèrent.

Ils se ressoudèrent pour transformer le corps.

Pour le modeler.

Bipède.

L'animal soupira et alla pointer son museau vers la Chose, curieux. Trop curieux.

Un éclair blanc me fendilla le crâne et je retombai à quatre pattes, essoufflée, fatiguée et terrassée.

Je serrai mes bras autour de mon ventre, frissonnante, un goût de bile dans la bouche.

— C'est moi, soufflai-je. C'est moi.

Je me souvenais.

Poivre miaula et s'éloigna de sa démarche peu naturelle. J'enfonçai mes ongles dans ma chair et osai enfin regarder Takashi.

— J'ai tué toutes ces bêtes, murmurai-je. Toutes, à des kilomètres à la ronde.

Je ne me dis que ça aurait pu être des humains ou des lycans. Je sentais la mort. Elle me traversait de part en part, gorgeant mon être tout entier et me montrant qui j'étais.

Non. Ce que j'étais.

— C'était moi.

Je fondis en larmes.

J'avais tué tous ces animaux. Sans regret, sans y réfléchir.

— Je sais.

Takashi m'attira contre son torse et il me berça un long moment.

Je sauvais.

Et je tuais.

Parce que j'étais Morbus.

Et que je précédais Mort.  

LES MAINS DE POUVOIR Tome 2 Fragmented Désire [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant