J-185 >> Emy

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— Certains jours, je voudrais juste en finir.

— Avez-vous exprimé cette souffrance à votre Compagnon ?

— Je n'ai pas de Compagnon.

— Que voulez-vous dire ? Vous avez choisi une Compagne ?

— Non.

— Attendez... Vous vivez sans Compagnon ?

— J'en possède un, mais je ne l'utilise pas.

La psy me fixe par-dessus ses lunettes décoratives, dans l'expectative. Personne ne porte plus de lunettes de vue. Elle s'est parée d'un costume de psy. Prendre conscience de l'imposture m'ôte toute envie de me confier. Pourquoi suis-je venue ici, au juste ? Comme si parler de mes problèmes à cette inconnue allait m'aider.

— Vous ne l'utilisez pas, répète-t-elle.

— Je l'ai éteint. Je ne le supporte jamais plus de quelques heures.

— Mais comment gérez-vous votre quotidien ?

— Je me débrouille toute seule.

J'ai du mal à dissimuler le sentiment de fierté qui m'envahit. Choisir de vivre par soi-même devient tellement rare que je me sens presque unique. Non, différente. Juste différente. Marginale.

J'ajoute d'une voix plus humble :

— Je n'ai pas grand-chose à gérer.

— Je vois.

Elle gribouille quelques notes sur son calepin, à la main, à l'ancienne. Second accessoire de comédienne. Je me redresse sur le divan trop dur afin d'observer le cabinet, mais mon regard ne rencontre que son PHO bureau en bois vernis. Malgré l'illusion parfaite, ce meuble n'est formé d'aucune matière. Pour m'en assurer, j'ai glissé les doigts au travers du Programme Holographique Opaque en entrant. Aucune armoire où stocker ses papiers. Imbriqué dans le mur personnalisable, un module recycleur émet son halo vert. Je parie qu'elle introduit les notes dans cette fente à l'instant où les patients quittent la pièce.

— Vous comprenez à quel point c'est dommage ? m'interroge-t-elle.

Pour une endonneuse ? Sans rire. Je décèle dans ses yeux avides toutes les possibilités que je gaspille. Tout ce que mes précieuses hormones pourraient m'apporter si je ne m'obstinais pas à les dilapider. Je me rallonge, prends une profonde inspiration et réalise que le cuir brun du fauteuil ne sent rien. Un autre artifice. Ce charlatan nous vend une expérience, et non une thérapie : l'expérience du passé, de l'époque où les psys existaient. Apparemment, son arnaque a du succès... J'ai dû patienter des mois pour ce rendez-vous.

Sans réponse de ma part, elle change son angle d'attaque :

— Ce vide que vous m'avez décrit, existe-t-il toujours ?

— Non, enfin, il existe peut-être, mais je le sens surtout à certains moments.

— Quels moments ?

Que pourrais-je lui dire ? Que les autres me terrifient ? Que ma vie n'a aucun sens ? Que je ne manque à personne ? Que je n'aime personne ? Que je voudrais devenir normale, mais que la norme m'étouffe ? Je lui sers la cause désuète qu'elle attend de moi :

— Quand je suis seule.

— Et cela vous arrive souvent ?

— Tous les jours. Je vis seule depuis sept mois.

Elle hoche la tête, satisfaite, et je me retiens de lever les yeux au plafond. À la place, je les dirige vers l'horloge à pendule que je soupçonne d'être un autre PHO. Plus que dix minutes et je pourrai rentrer chez moi. Mon cœur se met à battre plus fort sous l'effet de la dopamine, hormone de l'addiction, mais j'essaie de résister à son appel. Je m'étais juré de ne pas céder, aujourd'hui. Je m'étais promis que cette pseudopsy m'aiderait, qu'elle aurait des réponses, des conseils, un quelconque moyen de me porter secours.

Mon IA viendraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant