J-181 >> Luka (2/2)

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Je monte étage après étage à un rythme lent mais régulier — le plus efficace. Une marche à la fois. Un jour à la fois. Au bout de ma vie, j'arriverai au but. En route, je salue mes frères et sœurs de peine. J'en connais la plupart de vue.

Sur mon palier, je me plie en deux. De longues inspirations m'aident à reprendre mon souffle. Dame Rosa sort la tête par l'entrebâillement de sa porte et me charrie. Je jurerais qu'il s'agit du passe-temps préféré de notre voisine.

— J'ai cru que c'était une locomotive qui arrivait ! dit-elle. Tchou ! Tchou !

— Vous... allez... bien ?

— Fraîche comme une fleur ! La jeunesse, c'est surfait.

— Tant mieux... C'est quoi une... loco...

— Un véhicule ancien qu'on voyait encore dans les films de mon temps. C'était long, lent, lourd et ça se déplaçait sur des rails fixés par terre. Tu imagines ? L'engin te soufflait une grosse fumée avec un vacarme de dingue ! On peut dire ce qu'on veut et leur foutre tous nos problèmes sur le dos, mais ils avaient des couilles, les anciens... De nos jours, tout est si calme qu'on s'entend péter.

— Dame Rosa...

— Oui ?

Je me retiens de rétorquer que je ne suis pas d'humeur à badiner. Je me retiens de taper mon poing contre le mur et de hurler. Je me redresse et elle pose sur moi des yeux souriants qui illuminent son visage ridé.

— Merci de veiller sur l'appartement quand je sors, dis-je. C'est gentil.

— Il faut bien que quelqu'un garde les poupées.

— Elles ont le géniteur, pour ça !

Je tente notre plaisanterie habituelle, mais le cœur n'y est pas. Aujourd'hui, penser à lui m'emplit de colère. Dame Rosa perçoit mon malaise et se retire sur un clin d'œil. Toujours une pique à disposition, elle lance en disparaissant :

— Recoiffe-toi, à l'occasion. Ce n'est pas avec cette allure que tu vas pécho !

Je lève la main vers mes cheveux, vexé, mais finis par la laisser retomber. Brigs et sa partenaire de reproduction me traversent l'esprit... Si dame Rosa savait comment les couples se forment de nos jours, elle ferait un AVC. Bien que j'éclaire pour elle les zones d'ombre des temps modernes, je n'ai jamais osé aborder le sujet. Moi-même, j'évite d'y penser.

J'entre chez nous et me tourne vers la cellule du géniteur. Cette fois, il a dépassé les bornes. Je dois le confronter aux conséquences de ses actes avant d'en perdre le courage. Je frappe à sa porte, nerveux, incertain de ce qu'elle pourrait dissimuler, de la version du géniteur à laquelle je vais me confronter.

— Entre, Luka, m'invite Lizzie.

Je le découvre affalé dans sa biobulle, le sourire incertain mais les pupilles encore dilatées. Je le savais. Autour de son cou, seule l'ampoule d'endorphines contient un fond de liquide... Le résidu de dix médailles, si je devais parier.

— Où as-tu pris l'argent ?

Je ne reconnais pas ma voix, trop blanche, trop lointaine.

— Bonjour, fils ! On est contents de te voir, ta mère et moi !

Son ton enjoué me fait grincer des dents. Il me glace bien plus sûrement que ses menaces. Lui et sa satanée Compagne ne peuvent qu'être « contents », à l'heure actuelle. Artificielle, l'émotion est injectée via un ras-de-cou bidouillé par une extension illégale. CarpeDiem donnerait au géniteur l'impression d'être heureux même si je mourais sous ses yeux.

Mon IA viendraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant