J-181 >> Emy (1/2)

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— Au nom de tous les Compagnons, je vous remercie pour votre don d'empathie.

Cet abruti m'a proposé la collecte à domicile. Si l'erreur est humaine, l'erreur mille fois répétée appartient à l'informatique.

Bon sang, je dois me calmer ! À ce rythme, je ne passerai jamais la journée.

Je redoute et repousse mon retour à l'appartement. Rien ne m'y attend. Personne ne m'y rejoindra. Je pense à mes parents. Eux se soucient de moi - à leur façon. Je devrais les appeler.

Non, je ne devrais pas. Surtout pas.

Je ne sais plus.

Je rôde dans les allées de ma couronne, avide de contact humain, mais terrifiée par les émotions qu'il pourrait déchaîner. Succomber à trois vortex en quatre jours m'a gonflée de honte et de méfiance. Je garde mes distances avec les quelques récalcitrants des temps modernes qui cheminent à mes côtés. Je me contente de leur inventer des vies improbables.

Ce badaud se sera disputé avec sa femme et manquera le travail pour lui cuisiner un plat. Cette mère et sa fille achèteront de quoi se coudre des robes identiques. Ce petit garçon jouera à se rouler par terre, profitant de l'herbe fraîche du parc. Cette dame à l'air malade se rendra au travail pour se faire soigner par sa collègue préférée. Ces deux adolescents se retrouveront dans une allée sombre pour échanger des baisers...

Les larmes aux yeux, je croise un bureau de dépannage. Comme toujours, l'envie de m'y arrêter me dévore. Non, je me suis promis de ne plus céder. Au moins une journée. Ce soir, je me coucherai entière. Je m'endormirai en serrant contre moi toute une foule d'émotions.

Je ne sais même pas pourquoi je pleure. J'aurais aimé que toutes ces histoires puissent être vraies. Je voudrais juste que le cauchemar de ma vie cesse.


Je ferme la porte de l'appartement derrière moi, un kit de don à la main. Il est trop tôt, à peine le milieu de la matinée. Je ne peux pas. Si je cède maintenant, je devrai affronter le retour des hormones dans l'après-midi. La nuit et l'obscurité m'aident à supporter mon humiliation. Je ne peux pas sombrer en plein jour.

Je range l'endokit dans un tiroir, puis me ravise et l'expose sur le plan de travail. Je préfère le garder à l'œil. Je m'installe à l'atelier et répare le circuit électronique du volet de la cuisine. Je trouve la résistance brûlée, mais vérifie tous les autres composants au cas où. Entre deux tests de conduction, je défie du regard le kit à travers mes lunettes de protection rayées. Le saligaud ne bouge pas. Il se sait surveillé.

Quelques minutes plus tard, le volet s'ouvre et je profite de cette luminosité retrouvée pour passer l'aspirateur. Me confronter aux nanorobots me motive toujours à prouver que je peux vivre sans eux. Je finis par un brin de vaisselle, puis lave quelques habits dans la baignoire.

Je me laisse tomber sur le canapé, le dos cassé et les mains fripées. Un énième coup d'œil vers l'endokit me confirme l'origine de ma manie. Hormone de l'addiction, la dopamine s'est emparée de mon être. Toutes les corvées que je m'invente confortent son pouvoir. Mon obsession saute d'un objet à l'autre et se nourrit de ce mouvement. Mais elle revient toujours au kit, encore plus forte qu'avant. Je me fais avoir à chaque fois.

Tout en enfilant les LunET, je réveille ma bague avec les mots « shopping » et « vêtements ». Elle est préconfigurée pour compiler les rayons « habillement » de mes sites de brocante favoris.

Les combinaisons intégrales en plastique, très peu pour moi !

Je regarde défiler les MIRAJ de tricots informes, de pantalons troués et de chaussettes dépareillées sans espérer de miracle. Je me calme progressivement, jusqu'à tomber sur un pull seulement deux tailles trop grand, en très bon état et pur coton. Je caresse le tissu cent pour cent naturel, au septième ciel. Ces articles deviennent si rares qu'il coûte une petite fortune. J'hésite presque. Je pourrais m'offrir un aérotor à ce prix-là. C'est une folie ! Je sais pourtant que ce pull gagnera le titre de préféré dès l'instant où je l'achèterai. Outre sa matière, il porte la marque d'un temps révolu. Sur fond arc-en-ciel, un message délavé crie haut et fort son appartenance au passé : « Rendez-vous en Utopie ».

Mon IA viendraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant