Malgré mon impatience, je réfléchis. Je ne devrais pas sortir dans cet état. Même une IA pourrait trouver mon apparence étrange. Et puis... le colis se trouve dans un bureau de dépannage.
— Je vais récupérer le pull, pas un endokit.
Ma voix assoiffée sonne faux. Qui pourrait-elle convaincre ?
Le danger plane au-dessus de moi, dense et pressant. Des dizaines de raisons et de doutes peuplent ma tête pendant que je me rafraîchis dans la salle de bain. Je change mes habits trempés et brosse mes cheveux. Mes cernes, mes joues fiévreuses et mon front luisant disparaissent sous une couche épaisse de maquillage. Mes lèvres et mes yeux se détachent, entourés de lourds traits sombres. Pour camoufler mes yeux rouges, je chausse des lunettes de soleil à la mode du siècle dernier.
Je ne devrais pas y aller. Mes fautes doivent se lire sur ce visage gonflé, cette attitude coupable et ce regard dissimulé.
Au moment de choisir le mode de livraison de mon pull, quand Hélios m'a proposé par erreur un bureau de dépannage à l'autre bout de la métropole, j'ai accepté. J'espérais que deux cent trente kilomètres me décourageraient.
Seulement treize minutes en aérotor. La ville défile à une allure folle derrière le hublot. En cours de descente, je demande à l'IA qui pilote l'engin de m'attendre. Je ne compte pas m'attarder.
Quand je pose les pieds sur le sol délabré, tous les passants me dévisagent. D'où sortent tous ces gens ? Je n'en ai jamais vu autant dans une allée. Pourtant, je n'ai jamais vu d'allée aussi sinistre. Difficile de différencier les sans-abri, les rôdeurs et les miséreux. Ici, tous partagent la même façade d'amère nécessité. Je suffoque sous le double effet de l'air étouffant et de mon empathie. Les yeux baissés, je me force à avancer vers ma destination, éclairée par la lumière froide de lampes vétustes. Les tours trop hautes, trop carrées et trop denses de cette couronne la plongent dans une nuit sans fin.
Les accents inattendus d'une altercation s'échappent du bureau de dépannage. Je reste à l'entrée, appréhensive, loin du jeune homme agité à l'origine de l'esclandre. Pour oublier la douleur, je me concentre sur son gilet en matière synthétique obsolète. La couleur suspecte du tissu varie de rose pastel sous les aisselles trouées à violet sur les extrémités rongées. Il le porte par-dessus une combinaison indécente qui révèle des jambes sculptées. Vu sa taille, il a dû manquer de PUR pour les recouvrir.
Je me demande si le gilet dissimule une carence similaire. Parfois, sur les brocantes, je tombe sur des combinaisons antiques dites de musculation, mi-short, mi-marcel, qui n'échouent jamais à me faire rire. Aurait-il copié ce style ? Je penche la tête pour tenter de le découvrir à travers les trous de son gilet. L'IA décèle ma présence et délaisse le client contrarié.
— Bonjour, Donneuse Emy, que puis-je faire pour vous ?
Je détourne les yeux, honteuse et fiévreuse. L'homme redresse soudain une tête ébouriffée et se tourne pour me fixer, l'air perdu, voire abasourdi. Il veut mon PHO, ou quoi ? Je cherche sa bague - l'anneau noir des sans-statuts, si je devais parier -, mais ses doigts sont nus. Ses lunettes rondes ne semblent même pas connectées. Elles agrandissent ses yeux écarquillés comme pour corriger sa vue.
Il finit par reprendre la parole... pour supplier l'IA de lui fournir un kit de don. Il fallait que je tombe sur un drogué.
Il paraît que les euphoriomanes en manque sont prêts à tout pour se payer une dose de leur émotion préférée. Comme moi, ils détournent les endokits et siphonnent leur corps de toutes ses hormones. Comme moi, ils n'hésitent pas à s'infliger l'enfer qui succède aux vortex. Contrairement à moi, leurs faibles émotions ne leur rapportent que peu d'argent. Contrairement à moi, ils dépensent tout ce qu'ils gagnent en endorphines. Pendant quelques heures ou quelques minutes, pour n'importe quelle émotion, leur ras-de-cou trafiqué leur rendra les effets de la joie et du plaisir. Jusqu'à ce que l'ampoule d'endorphines s'épuise.
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Mon IA viendra
Science-FictionQui refuserait un Compagnon IA parfait ? Emy, jusqu'au jour où la solitude manque de la tuer - et que sa vie tombe aux mains d'un imposteur. --- Dans le futur, les humains vivent seuls avec leur Compagnon, une IA au diapason de leurs émotions. Emy...