En attendant l'heure du rendez-vous, j'arpente le salon. Je ne me suis pas sentie aussi stressée depuis un mois. Et encore, avant le premier entretien, le voyage en REV m'inquiétait plus que la rencontre. J'ai apprivoisé cette phobie pour me confronter aujourd'hui à une nouvelle sorte de peur, celle qui accompagne un enjeu.
J'ai gardé mon calme lors des cinq derniers entretiens. Les aspirants ont défilé dans ma vie sans m'émouvoir. Si Toma a su me déstabiliser par son attaque-surprise, j'ai tôt fait de m'aguerrir. Je me bats désormais en armure.
Prince et moi avons conçu un VOIL, le summum de la neutralité : bottines compensées, leggings d'invisibilité, body lumineux, gants d'humeur dont la couleur suit l'évolution de mes émotions et, bien sûr, visage anonyme.
J'ai dérogé à mes principes sous l'influence de mon Compagnon... Pourquoi me dévoiler devant des inconnus ? Pourquoi les autoriser à me juger ? Plus personne ne s'expose ainsi, et à raison. Le confort de l'anonymat n'est plus un luxe rare, mais une commodité. Pourquoi m'en priver ?
Difficile de m'opposer au surhomme qui tient mes vortex à distance depuis soixante-quatre jours.
J'ai cédé par lâcheté. Malgré mes beaux discours, il m'a semblé plus facile de me cacher. Je n'avais aucune envie de revivre le rejet et la honte du premier entretien, encore et encore. Le découragement m'aurait minée. Et le jour où je rencontre un homme intéressant, rien ne m'empêche de tomber le masque.
Pour occuper mon esprit fébrile, je projette le PHO d'Arno, mon nouvel aspirant. Il se tient debout devant moi, mais son corps athlétique, sa tête d'ange à barbe et queue de cheval ne m'impressionnent pas. Je les soupçonne d'être aussi VOILés que les miens. D'ailleurs, son « kimono » en témoigne — Prince m'a aidée sur le terme.
Pourtant, chaque fois que je m'apprête à tout annuler, l'expression sereine d'Arno m'apaise. Il n'a pas pu greffer cette force tranquille sur son image. Ce genre de VOIL n'existe pas encore. Pour la centième fois, son PHO s'anime pour se présenter :
« Bonjour, je m'appelle Arno, j'ai vingt-cinq ans et je vis en couronne B. J'aime me dépenser en pratiquant du sport, cuisiner de vrais aliments et, de manière plus générale, prendre soin de mon corps et de mon esprit. »
Il sourit à pleines dents. Ce mec a l'air trop sûr de lui et de sa perfection. Depuis le début, je me méfie. Pourquoi a-t-il accepté de me rencontrer, alors que je n'ai pas daigné lui transmettre un PHO ?
Pour la même raison que moi, j'imagine.
Avec un sourire plus timide, au point de lever un bras pour se gratter la nuque — et contracter au passage un biceps gonflé —, il reprend.
« Ah oui, j'oubliais... Je suis un donneur. »
Le sens théâtral en prime ! L'oubli, je n'y crois pas une seconde, mais malgré mon hésitation et mes doutes, je n'ai pas pu résister. Je vais rencontrer un endonneur ! Une personne qui me ressemble, qui vit le même calvaire et qui me comprendra. Pourquoi ai-je attendu que Prince m'en présente un pour me décider ? J'aurais dû traquer tous les donneurs de la métropole, voire du monde, et leur proposer un entretien.
Je n'ai jamais osé. Je ne savais par où commencer.
J'avais besoin qu'on me tienne la main.
Arno sera le premier.
ARNO> Madame se fait désirer ?
Mon cœur déjà malmené bondit dans ma poitrine. Perdue dans les limbes de l'appréhension, j'ai raté l'heure de mon rendez-vous. Plutôt que de me précipiter sur les électroaimants, je prends quelques secondes pour tenter de me calmer. Je m'assieds sur le canapé et compte trois profondes inspirations, les yeux fermés.
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Mon IA viendra
Bilim KurguQui refuserait un Compagnon IA parfait ? Emy, jusqu'au jour où la solitude manque de la tuer - et que sa vie tombe aux mains d'un imposteur. --- Dans le futur, les humains vivent seuls avec leur Compagnon, une IA au diapason de leurs émotions. Emy...