De manière prévisible, le réveil fait mal. Les draps humides et la nausée me rappellent à quel point la nuit m'a éprouvée. Encore une.
« Plus jamais », me suis-je répété dans les ténèbres, dès le retour en force des hormones. Suis-je naïve d'y croire chaque matin ? Faible de céder si souvent ?
Je me lève en ignorant mon ventre courbaturé et les taches grises qui entravent ma vision. Je tâtonne jusqu'à atteindre le bouton-poussoir de la carte électronique suspendue près du volet. Je la répare si fréquemment que je ne prends plus la peine de la ranger dans son boîtier. Chaque composant de ce circuit électronique a grillé au moins deux fois. La carte défectueuse les ruine, mais les circuits imprimés sont plus durs à trouver que les composants. Les nostalgiques et les collectionneurs s'arrachent les derniers exemplaires qui circulent sur le marché.
Par chance, les lames s'enroulent avant qu'un composant n'ait le temps de sauter. Mes doigts glissants de transpiration se démènent pour extraire ma précieuse pile plate. Je la récupère au prix d'une bouffée de chaleur et réitère l'opération sur les deux volets du salon, puis celui de la cuisine. Leur ouverture lente, consécutive et maîtrisée fait baisser mon niveau d'adrénaline. Si l'ancien propriétaire avait soupçonné l'apaisement que me procureraient chaque matin ses volets - « désolé, ils sont vraiment dépassés ! » -, il aurait doublé le prix de son bien.
Mes parents détestent tout de cet appartement. Le souvenir de leur air horrifié mais digne lors de leur unique visite m'incite à sourire.
Grâce à mon statut, j'aurais pu vivre dans une couronne huppée de la métropole, D, C ou même B, un duplex de haut standing, moderne, avec services inclus. Après tout, je le leur dois, ce statut, au moins en partie. Ne pourrais-je pas montrer un peu de gratitude ? Leur fournir un prétexte pour fanfaronner devant leurs connaissances, plutôt qu'un sordide secret à cacher ?
En couronne T, j'ai pu me payer un deux-pièces cuisine au dernier étage d'un immeuble rétro, ce qui me place parmi les privilégiés de la métropole : ceux dont les fenêtres donnent sur le ciel. Quelques semaines après mon emménagement, j'ai profité du spectacle exceptionnel d'un orage. Ses précipitations ont désépaissi la couverture de nuages lilas qui règne d'ordinaire sur la ville. Depuis, je jouis parfois d'une trace de soleil levant.
Ce matin, l'un des rayons vainqueurs brille si bien qu'il fait miroiter l'espace autour de moi. Émerveillée, je m'oublie et danse dans cette poussière d'étoiles. Et puis, bien trop vite, la grisaille reprend ses droits. J'observe le tumulte de nuages féroces gonfler et engloutir un à un mes héros de lumière.
Avec un peu de chance, la prochaine pluie tombera avant trois années.
Je me détourne de l'arène céleste et embrasse du regard mon salon. J'adore toutes les facettes de cet appartement : sa parcelle T26, l'intimité de ses pièces exiguës, son plancher grinçant, son odeur de cire et ses équipements obsolètes. Depuis que j'y ai amassé toutes mes trouvailles archaïques, il est devenu parfait. À quelques détails près, je pourrais me croire au siècle dernier.
L'un de ces détails attire mon attention. Sur la table basse, le tube de l'endokit clignote pour signaler son délai de péremption. Ma nausée s'intensifie à la vue du liquide translucide, rappel de l'épreuve qui se profile. S'il n'était question que d'argent, je viderais sans attendre le tube dans l'évier pour m'en débarrasser. J'ai épargné plus en une année de dons que la plupart des gens gagneront en une vie. Mais il paraît que rejeter des hormones brutes dans la nature nuit à l'environnement. Personne n'a besoin de marteler le message, car rares sont les fous qui jetteraient de l'empathie par les fenêtres. Le jour où j'ai entendu parler de cette préconisation, j'ai eu l'impression qu'elle m'était adressée.
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Mon IA viendra
Ciencia FicciónQui refuserait un Compagnon IA parfait ? Emy, jusqu'au jour où la solitude manque de la tuer - et que sa vie tombe aux mains d'un imposteur. --- Dans le futur, les humains vivent seuls avec leur Compagnon, une IA au diapason de leurs émotions. Emy...