15. Deuxième corde

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Je voudrais bien dire que me voir devenir Rapace a surpris Gabriel mais ce n'est pas le cas. Toutefois, la réaction de ma tante en valait le détour, elle ouvre les yeux de stupéfaction et laisse sa bouche entrouverte, ne masquant absolument pas sa surprise. Je reste droite, mais j'ai déjà mis un pied en arrière, un appui qui me permettrait de démarrer au quart de tour si jamais nous devions en venir aux mains. Je respire lentement, tentant de choisir mes mots avec soin :

"Dernière chance Gabriel, donne moi les Miraculous et je te promets que ton manoir restera en un seul morceau.

-Je m'emparerai de ton Miraculous.

-Jamais.

-Tu ne seras pas en mesure de me contrer quand tu auras perdu connaissance."

    Ses mots sont menaçants, pire que ça, ils sont prémonitoires. J'effectue un léger saut sur place et je m'élance dans sa direction. Mon objectif principal est de ne pas blesser ma tante dans la bataille, le second, est de récupérer les Miraculous. Papillon brandit sa canne comme une épée et je fais apparaître mes griffes pour tenter de l'attirer. Pendant quelques secondes, le bruit de nos deux armes s'entrechoquant, résonne dans le bureau du styliste. Il pare toutes mes attaques avec une agilité déconcertante. Avec un peu de chance je finis par attraper la barre de sa canne et elle reste bien ancrée dans ma main. Je serre avec une telle puissance que je la sens commencer à se briser sous la pression que j'exerce. En serrant les dents, je lève les yeux :

"Gabriel, sois raisonnable.

-J'en ai marre de jouer."

    Son ton est calme, cela ne me dit vraiment rien qui vaille. Il utilise la force que je mets contre moi en lâchant sa canne. Lancée par ma propre force, je suis obligée de reculer à toute vitesse. Le temps de me stabiliser sur mes deux jambes et c'est le genou de Papillon que je prends dans l'estomac. Je décolle du sol, lâche la canne, percute les solides portes de son bureau et glisse sur le dos en grimaçant. Je me redresse, et cette fois, dans cette immense entrée, je déploie mes ailes. J'ai besoin de prendre de la hauteur, du recul pour établir une stratégie. Proche du plafond, je stagne et tente de reprendre mon souffle.

    Le caractère grave de la situation me fait perdre mon air plus vite qu'à l'ordinaire. Papillon sort de son bureau en marchant, tandis que je vois la silhouette de plus en plus affaiblie de Nattie se tenir aux murs comme à une bouée de sauvetage. La douleur se lit sur son visage et ma colère augmente encore un peu plus. Je suis tentée de venir l'aider mais me rapprocher de Papillon nécessite un plan que je n'ai pas encore.

"Tu sais ce qu'on fait à un oiseau qui refuse de descendre ? On lui coupe les ailes."

    Papillon n'hésite pas une seule seconde et s'élance vers les escaliers qui lui permettront de se retrouver à ma hauteur. Je recule de plusieurs mètres et à travers la pièce je vois l'immense tableau derrière Papillon représentant Gabriel et Adrien. Tous deux vêtus de noir, je me doute qu'il doit sagir d'un portrait pris peu après la disparition d'Emilie si j'en crois l'air plus qu'attristé d'Adrien. De le voir aussi triste, me fait prendre conscience que je me bats contre son père et qu'il va y avoir forcément des retombées quand Adrien rentrera. C'est un bruit sur ma droite qui me fait reprendre mes esprits. J'ai été distraite par une affaire de famille et je me sers des reflets dans les yeux du Papillon pour comprendre que c'est le plafonnier à côté de moi qui chute. Le temps de comprendre que Nattie se trouve en dessous, et je plonge aussi vite que je le peux.

    Ma tante est à porté de bras, je tends une main vers elle. Son visage est à mi-chemin entre la peur et la douleur. Dans le verre de ses lunettes, je comprends vite que je ne pourrai pas l'emporter dans mes bras comme je le voudrais. Mon seul moyen d'éviter qu'elle soit blessée est de la pousser. Au dernier moment je la pousse dans le bureau de son patron, elle va glisser sur le carrelage mais je n'ai pas le choix. A peine mes mains quittent le tissu de sa veste, que j'ai le temps de lui glisser un "Désolée" et je sens le plafonnier tomber sur mes ailes. Je m'écrase sur le sol. Le verre se répand, et je n'ai d'autres choix que de m'enfoncer dessus. La plupart des débris se brisent sous mon poids et je sens un déséquilibre lorsque je veux me relever.

    Mes ailes que je pensais invincibles viennent de se tordre, et je ressens une forte douleur dans mes côtes. Je suis obligée de me tenir le flanc gauche pour me redresser, et je ne peux pas replier mes ailes puisqu'elles n'ont plus la place nécessaire pour se rabattre. Je souffle mais je ne cèderai pas. Papillon est redescendu aussi vite. Comme sur les toits l'autre jour, le bout de sa canne s'abat sur ma joue. Aussitôt, je retombe sur le dos. Des morceaux de plumes s'enfoncent dans mon dos et me font un point de pression qui rendent ma respiration difficile. Son genou se place sur mon torse, appuyant un peu plus la douleur dans mon dos :

"Je pensais que tu m'opposerais un peu plus de résistance...

-Pourquoi Gabriel... Je sais que la disparition d'Emilie t...

-Tais-toi. Tu n'as pas le droit de prononcer son prénom.

-Gabriel... il faut arrêter... c'est allé trop loin..."

    La voix de ma tante est de plus en plus faible. C'est le seul moment où je sens Papillon ne plus exercer la moindre menace envers moi. L'appel silencieux de Nattie en pleine souffrance a eu raison de notre attention à tous les deux. Elle est sur le dos, tente de se relever mais son corps est incapable de faire le moindre mouvement. Elle tousse en tentant de cacher une autre grimace. Sans se poser de questions, Papillon part dans sa direction, me laissant comme une tortue retournée. Je prends de légères inspirations et arrive à me relever. Je ne sais pas comment je tiens encore debout mais je n'ai pas le choix. Je ne peux même pas rouler des épaules pour me les dénouer. Je recule de quelques pas en clopinant.

    Papillon est occupé à l'examiner et ne prête pas attention à moi. Je calcule ma trajectoire. Si je vais tout droit, je risque de me briser les ailes sur les murs, mais c'est mon seul moyen d'atteindre Nattie sans que Gabriel ne puisse m'intercepter. Je sautille de nouveau, prends un pas d'élan, et dans un cri étouffé, je m'élance. Je déploie au mieux les ailes, et gagne en vitesse. Lorsque Papillon tourne la tête vers moi, mes deux ailes percutent les murs, et me surprennent à faire deux trous de leur envergure malgré leur déformation. Je perds en stabilité, je perds l'équilibre, je perds tout le reste que j'avais pour rester droite, tends le bras pour amortir ma chute et m'effondre derrière ma tante. Je tousse et dois réellement retenir un cri de douleur pour ne pas me laisser aller. Je ne peux plus compter sur mes ailes c'est terminé. Papillon me regarde avec un air interrogateur. Une larme m'échappe et je finis par me relever, encore une fois. Mon Miraculous n'aura pas dû me permettre de résister aussi longtemps mais je vais devoir demander à Kribb encore un petit effort. Je ne sens plus mon dos, et mon flanc me fait atrocement souffrir mais ce n'est rien, j'irai jusqu'au bout de ma mission.

    Papillon comprend trop tard et se relève pour aller dans ma direction. Je place la broche du Paon sur un morceau de mon costume :

"Dusuu, Kribb ; Amalgame."

Miraculous : Les Serres de la VengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant