20. Le souvenir

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Il faisait beau et chaud. Bizarrement ce sont les deux premiers souvenirs qui remontent quand je repense à cette journée. Il y a des détails qui nous marquent plus que d'autres et, en ce qui me concerne, ce sont ceux-là. Nous habitions tous ensemble comme une famille unie dans une petite maison dans un coin reculé de la campagne anglaise. Pas vraiment de voisins, pas vraiment de grands signes de vie à des kilomètres. Nous aimions notre tranquillité et mes parents étaient suffisamment présents et disponibles pour subvenir à tous nos besoins.

Mes parents n'avaient pas la même personnalité, pas les mêmes points forts mais ils se complétaient si bien qu'il était certain que le Destin avait décidé de les faire se rencontrer. Dès le départ, mon père a été averti de la double vie de ma mère. Malgré les remontrances des anciens gardiens des Miraculous, elle avait établi cette condition pour qu'elle continue d'assurer son rôle. Elle ne voulait pas que son rôle de Héros ne l'empêche de développer des sentiments et fonder une famille. C'est ce qu'elle a réussi à obtenir. Pendant treize ans.


"Je crois que ta mère est là."


J'ai aussitôt quitté le plan de travail duquel je regardais mon père s'affairer sur une pâte à pancakes de laquelle il tentait de se faire respecter. Il a toujours été le plus observateur de nous deux, et je crois que cette capacité s'est renforcée en côtoyant ma mère. Elle qui voit tout, tout le temps, jusqu'au plus petit détail, je sais que c'est une des particularités de son Miraculous mais elle est devenue la meilleure dans ce domaine depuis qu'elle le porte. Mon père m'a déjà expliqué qu'il comprenait d'une simple sensation au fond de son corps que sa femme était rentrée. Même perdu dans un livre, il était capable de décrire précisément à quel moment ma mère était rentrée.

J'ouvre la porte d'entrée et je tombe pile sur le moment où les ailes de faucon se rétractent dans de légers cliquetis. La détransformation de ma mère se fait immédiatement et son Kwami, Kribb, se pose sur son épaule. Elle le gratifie d'une petite caresse sur le sommet de son crâne et lui laisse quelques graines à disposition pour qu'il puisse se reposer et retrouver sa force. Ma mère dénoue ses épaules comme si elle voulait s'étirer et plisse légèrement les yeux en me scrutant. Ses lèvres s'étirent en un sourire et elle passe la main autour de mes épaules comme si elle voulait retirer un surplus de poussière.


"Mmh... pancakes ? Tu as de la farine sur quelques fibres de ton pull.

-Il essaye du moins."


Ma réponse a pour vocation de la faire rire et je ne peux pas m'empêcher de la questionner sur la raison de son intervention du jour. De ce qu'elle m'a déjà affirmé, elle pense être la seule porteuse de Miraculous de la région. C'est donc elle qui s'occupe de tous les villages aux alentours. Parfois je crois savoir qu'elle retourne voir Emilie même si elle ne travaille plus pour elle depuis que je suis née. La plupart du temps, ses interventions sont dues à quelques vols, des courses poursuites mais rien de très grave qui ne l'a jamais mise en danger. Mon père finit enfin de se battre avec sa pâte et elle se laisse aller contre lui pendant quelques secondes en fermant les yeux.

Ce que je sais aussi de mes parents dans leur grande différence c'est que ma mère est la moins tentée de montrer ses émotions. Ca aussi, c'est dû à son activité de Héros. La grande majorité du temps, elle rentre avec le sourire, ce ton léger et ces petites remarques qu'elle constate en nous regardant de haut en bas. Mais parfois, elle revient en baissant la tête, elle ne dit pas un mot et préfère aller se coucher. Quand j'étais petite, je ne comprenais pas ces réactions, je pensais qu'elle n'était pas heureuse de me voir l'accueillir comme à chaque fois, mais j'ai appris. En attendant quelques heures de plus, je pouvais lire dans différents médias le récit de catastrophes qui ont mal tournées, que certaines personnes ont perdu la vie et que ma mère n'a pas pu tout faire. Un braquage dans lequel ma mère ne peut pas tous les sauver, et elle s'enferme pendant quelques heures. Sous ses airs un peu froid et détachées, elle ne fait que se mettre à la place des autres, et il n'y a qu'avec nous qu'elle se permet de laisser tomber le masque.


Une fois sans la permission de mon père, je suis rentrée dans la chambre par la fenêtre. Ma mère avait saccagé la plupart de la pièce, jusqu'à en retourner le lit conjugal. Elle avait fini par s'asseoir contre la porte et pleurait à chaudes larmes. C'est à ce moment-là que je lui ai demandé de tout m'expliquer. Je ne voulais pas que la voir rentrer de ses interventions, je voulais la comprendre au-delà de tout cela. Je voulais comprendre le Miraculous, Kribb, le Héros qu'elle était. Je voulais tout savoir. Je voulais être comme eux. Aussi compréhensif et doux que mon père ; aussi forte et indépendante que ma mère.

Depuis ce jour, j'ai appris que le Miraculous du Faucon accentue certaines capacités comme la vue mais aussi les émotions et c'est ce qui faisait que ma mère pouvait revenir de ses interventions calme ou dans un état de colère ou de détresse telle qu'il fallait qu'elle s'enferme pour faire redescendre toute la pression et les émotions. J'ai appris à vivre avec Kribb et j'ai commencé à m'entraîner de mon côté. Si Kribb considérait ma mère comme la Reine du Miraculous, il s'est amusé à me surnommer Princesse. J'ai essayé de nombreuses années à m'entraîner à voler sans Miraculous, à repérer de plus en plus de détails, je voulais être digne du Héros qu'était ma mère.

Le moment de cette horrible journée s'est déclenché lorsque le poste de radio posé sur un des meubles de la cuisine a déclaré :


"On nous signale un éboulement sur une des montagnes. Des dizaines de voitures se retrouvent bloquées et certaines d'entre elles sont sur le point de tomber dans le vide. La situation est critique et les quelques piétons tentent de dégager les victimes prises au sein des rochers..."


Nous n'avons pas eu le temps de comprendre le reste du message. Le crissement de sa chaise, l'effleurement de ses lèvres sur ma joue avec une caresse digne d'une plume le long de mon visage, et la porte d'entrée s'est de nouveau ouverte. Le temps de cligner des yeux et ma mère était de nouveau partie. J'ai regardé mon père qui s'était stoppé dans son mouvement alors qu'il allait mordre dans son pancake. Je le connais, il y a quelque chose qui ne va pas.


"Papa ?

-Je n'aime pas quand elle intervient à flanc de montagnes...

-Qu'est-ce que tu suggères ?

-Je voudrais la rejoindre mais elle n'aime pas quand on se trouve sur les lieux de son intervention..."


Mon père croise les mains, il se perd au fond de son esprit pendant de longues secondes. Il respire lentement, il réfléchit. Puis il fronce les sourcils, et se lève lentement de sa chaise, attrape les clés de la voiture et me regarde :


"Tu veux venir ?

-Je ne peux pas rester sans rien faire si tu sens que maman est en danger.

-T'es bien la fille de ta mère toi, conclut-il dans un rire."

Miraculous : Les Serres de la VengeanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant