CHAPITRE 1 : Elowyn

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Eh oh ! Papa ! Allez, revéille-toi ! Nooooon pas maintenant ! Papa, s’il te plaît ! Ce n’est pas le moment ! Papa ! Allô ?! Réveille toi !” Pourquoi papa ne se réveille-t-il pas ?

          Je n’arrête pas de le secouer dans tous les sens, de lui donner des baffes pour qu’il reprenne conscience mais rien ne fonctionne. Suis-je en train de perdre mon père pour toujours et à jamais ?
Les émotions me prennent de court. En fait, je pense savoir pourquoi il ne se réveille pas…mais je ne veux pas y croire. Non, non, ce n’est pas possible. Lui qui était jusque-là en bonne santé… Que s'est-il passé ?

Je sens les larmes me monter aux yeux. Je ne veux pas le perdre. Il est la seule famille qu’il me reste. Et puis…non. Non, il n’est pas mort, point final.
Papa ! Réveille-toi papa !
Je m’effondre et je sanglote. Je ne peux pas rester sans lui dans ce monde. Je ne peux pas vivre sans lui. Il ne peut pas m’abandonner ainsi, partir du jour au lendemain. Papa n’a jamais montré le moindre signe de faiblesse. Il a toujours été fort…c’était mon modèle, ma lumière, celui qui a éclairé ma route, celui qui m'a toujours conseillée… Et je crois bien que je l’ai perdu.
À l’aide ! je hurle autant que mes cordes vocales me le permettent.
Ma voix déraille mais je n'y prête pas attention. Quelques serviteurs accourent à mon appel et s’empressent autour de moi. Tout le monde s’agite : c'est la panique se fait générale. Dans leurs regards, je perçois leur incompréhension. Ils doivent certainement se demander pourquoi je suis dans sa chambre en pleine nuit et encore plus pourquoi il a la trace rouge de mes mains sur ses joues. Vont-ils me prendre pour une criminelle ? Puis…tout se déroule vite et je n’entends plus rien, à part mes cris de détresse. Je vois très flou et mes pensées se brouillent. Je crois apercevoir des serviteurs transporter le corps de mon père dans une autre chambre puis… Plus rien. Trou noir. Chaos.

Je reprends connaissance comme si je me réveillais d'une bonne nuit. Cependant, ce que j'ai vécu ces dernières heures est pire qu'un cauchemar. Je tente d'ouvrir les yeux mais je n’y arrive pas. Mes paupières sont lourdes et collées par le sel de mes larmes. Je mets du temps à me remémorer les évènements de la veille, ou d’avant-hier ou…je ne sais pas. C'était peut-être juste mon inconscient…ou une hallucination… Je deviens complètement folle. Mon père va bien, il est en parfaite santé. Je pense que je vais lui rendre visite pour me rassurer. Oui, je vais faire ça. Je vais aller le voir et me rendre compte qu'il est en parfaite santé. Ensuite, je rentrerai calmement dans ma chambre et toutes mes angoisses se seront évaporées.

Je parviens à ouvrir les yeux tant bien que mal malgré leur poids. Je m’étire en poussant un petit gémissement de douleur. Mon corps est courbaturé, épuisé. Je tourne légèrement la tête pour me situer dans le château. Soudain, je pousse un cri strident. Mon père est allongé à côté de moi, les yeux fermés. Ses lèvres sont bleues, légèrement entre-ouvertes. Alors c’est vrai…je ne m’étais pas trompée. Papa est mort. MORT. Je crie puis pleure toutes les larmes de mon corps. Pourquoi m’ont-ils allongée à côté de lui ? C’est hyper glauque ! Je n’en reviens pas. Ils ont forcément pris cette décision pour une bonne raison. Laquelle ?
En essayant de me remémorer après la découverte de mon père mort, je me rends compte que je n'ai plus aucun souvenir. Ai-je fait un malaise ? C'est la seule réponse acceptable à ma question.
Je crois que je suis très bruyante quand je pleure, parce que quelques minutes après ce réveil le plus horrible de toute ma vie, une femme de chambre passe la tête par la porte.

Permettez-moi d’entrer, ma Reine.
Ma reine ? Je suis reine moi ? oh non ! non, non, non ! Papa, reviens à la vie, s’il te plaît. Ne me laisse pas seule, ne m’abandonne pas comme tu es en train de le faire… Es-tu parti sans me dire au revoir ou t’ai-je laissé partir sans te dire adieu ?

La femme de chambre se racle la gorge.
Ma Reine ? bredouille-t-elle.
Oui, entrez, finis-je par répondre.
Je crois que vous avez besoin d’explications mais, tout d’abord, sortons de cette pièce, dis la femme d’une voix réconfortante.

Depuis quand dîtes-vous à une prin…reine ce qu’elle doit faire ?
Je parle de façon hautaine et je déteste être comme ça. De toutes façons, il n'y avait rien de bon à rester dans cette chambre, je serais sortie de toute façon. Cependant, je la trouve culottée de me le dire ainsi. Elle a beau avoir toute la bonne volonté du monde, je n’aime pas qu’on me donne des ordres. Et puis d’abord, ce n’est pas ma mère !  Ni mon père…

J’explose à nouveau en pleurs. Je ne veux pas rester avec cette femme inconnue. Je veux être seule, prendre le temps de me reposer pour mettre de l'ordre dans mes idées. Néanmoins…je n'ai pas vraiment le choix. Je me lève rapidement du lit et je sors de ma chambre en courant. Je sens le marbre froid du couloir sous mes pieds, bousculant quiconque se trouvant sur ma route. Je me trouve maintenant dans le grand hall du palais. À vrai dire, je ne sais même pas où aller. Je ne veux pas m'enfermer dans une pièce. Je crois que j'ai besoin de prendre l'air, de m'aérer les poumons mais surtout l'esprit. Je cours, encore et encore. Les serviteurs du château me dévisagent à travers des regards inquisiteurs et perçants. Après tout, je m’en moque. Je suis reine maintenant, non ? À cette pensée, je ne peux pas m'empêcher de répliquer dans ma tête : "Agis comme telle, au lieu de fuir comme une enfant !" J’ouvre moi-même avec tant bien que mal les lourdes portes en bois puis je me dirige dans les jardins royaux. Je suis dans une robe de nuit noire et soyeuse, toujours pieds-nus. Instinctivement, je me rends à la roseraie. Je sens quelques épines de rose et quelques cailloux s’enfoncer dans ma plante de pied mais je continue malgré la douleur. Je ne réfléchis plus à ce que je fais. J'agis instinctivement. Je m’arrête net devant le plus grand rosier. Ses tiges ressemblent presque à un tronc tellement elles sont épaisses. Je décide de m'appuyer au tronc principal, entourée des autres rosiers qui me cachent. J’avance à travers les branches épineuses qui me griffent le corps à sang afin de m’asseoir, cachée par les feuilles grises et les roses noires.

Je prends un instant pour calmer ma respiration et retirer quelques épines. C'est plus douloureux de les enlever que de les sentir s'enfoncer sous ma peau. Mes démons commencent à prendre forme, comme s’ils s’emparaient de moi. Je ne suis plus maître de moi-même. Je ferme les yeux et ouvre les narines pour respirer l’odeur de brûlé qu’ils répandent. J'ouvre les yeux mais je ne vois aucun feu. Je crois que j'hallucine totalement parce que rien ne brûle. Je pars vraiment en vrille.
Je pousse un hurlement. J’ai l’impression de briser mes propres tympans et de me déchirer les cordes vocales. Je crie à nouveau pour extérioriser toute cette souffrance que je couvre en moi, jusqu'à ne plus avoir de voix. Ce hurlement m'a fait du bien puisque je suis coupée de mes émotions, je ne ressens plus rien. Je sors de ma cachette, décidant que je n’ai plus rien à y faire.  La nuit tombe et il fait froid alors je décide de rentrer. Je tourne sur moi-même pour admirer une dernière fois le paysage avant de rentrer. J’observe le grand jardin du palais, rempli de chemins bordés de buissons, d'arbres pauvres en feuilles ou de roses noires. Les feuilles mortes sont parsemées sur le gazon noir et sur le gravier. C’est magnifique ! J’ai rarement vu quelque chose d'aussi beau. Après toutes ces émotions intenses, j’ai l’impression de le découvrir pour la première fois. Je fais des tours sur moi-même, désormais je rigole de joie. La sensation est tellement agréable ! Je n’ai jamais rien senti de tel. Moi qui était tant au fond du trou, je suis bien remontée. J'ai l'impression que les évènements de ma veille remontent à une éternité. Toutefois, je sens la fatigue de ces derniers jours reprendre le dessus. Je sens à nouveau mes courbatures et je suis épuisée. J’ai l’impression que mon corps ne m’obéit plus. Je décide alors de me re-diriger vers le château pour aller me reposer. Je marche de nouveau sur les épines et les graviers puis sur le marbre froid. Je monte les escaliers avec lenteur, tant mon corps est vidé de son énergie.
Alors que je suis de retour dans ma chambre et que je m’allonge sur mon lit, je prends quelques minutes pour penser. Je me rends compte de toutes les informations que j’ai à digérer : mon père est mort et je suis devenue reine. Je ne sais plus comment penser, comment agir. Qu’est-ce qui est une bonne solution pour moi ? Qu’est-ce qui est une bonne solution pour le royaume ? Je ne sais plus. Je suis perdue.

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant