CHAPITRE 27

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Helena lève les yeux vers moi, ce qui me laisse voir la détresse dans son regard. J’ouvre en grand mes bras pour l’accueillir. Je sens ses larmes goutter sur mon épaule avant qu’elles dévalent mon bras. Je la serre fort, comme si le fait d’être comprimée allait apaiser sa douleur. Pour être honnête, je ne sais pas trop pourquoi je la serre si fort dans mon étreinte. C’est peut-être plus pour moi que pour elle.

- Chuuuuut… Hely, écoute-moi. Ça va aller, d’accord ?

Je vois bien qu’elle ne m’écoute pas. Tout ce que je sais, c’est qu’elle se noie dans son propre chagrin.

- Regarde-moi dans les yeux, lui demande-je en essayant de mettre de la distance entre nos deux corps.

Une fois que son regard se plonge dans mes yeux, que je sais qu’elle m’écoute, je tente de la rassurer.

- Je suis là, d’accord ? Je sais que tu es forte. Tu vas y arriver, ok ? Je te l’affirme sans aucun doute.
Elle baisse les yeux avant de hocher la tête, bien qu’elle ne soit pas convaincue. Je la sers encore plus fort dans mes bras avant de relâcher mon étreinte. Je lui embrasse le cou avant de lui faire face.
Retournes-y, lui chuchote-je. Dépêche-toi afin que personne ne remarque ton absence.

Hely fait demi-tour à contre-coeur. Je sens sa douleur dans son attitude, à travers chaque regard ou chaque pas. J’aimerais pouvoir réellement l’aider. Le problème, c’est que je suis impuissante face à la mort. Je suis une poussière dans l’univers, je suis quelconque, je suis rien. Je suis rien par rapport à cet univers, rien parmi tous ces êtres vivants…je suis juste une humaine parmi les autres.
Je suis Helena du regard pendant qu’elle se dirige vers son père. Elle adresse des sourires à tous ceux qui la croisent, bien qu’ils soient totalement hypocrites.
Je m’incruste en douce dans l’Oracle, me plaçant dans un coin, à moitié cachée par le rideau. J’observe les gens et leur façon d’agir, leurs manières, leurs coutumes. Le peuple d’Emalian et de Bienafaith n’ont finalement pas tant de différences. L’environnement qui les entoure est très similaire. La seule chose qui change, c’est leur façon de gérer la douleur. Le peuple du Mal est en grande souffrance et ne parvient pas à l’extérioriser. Leurs cœurs pourrissent de l’intérieur pendant que leurs âmes se flétrissent.

Le peuple du Bien, lui, transforme cette douleur en un art. Oui. Ils expriment leur souffrance pour en faire quelque chose de  beau. Ils ont cette force que moi je n’ai pas. Je les respecte énormément. C’est aussi pour ça que les stéréotypes du “bien” et du “mal” sont apparus. Le peuple de Bienafaith est heureux puisqu’il vit dans la couleur, l’honnêteté et la communication…tandis que le peuple d’Emalian vit dans la noirceur et la douleur intériorisée. Ainsi, les antipodes se sont créés et voilà où nous en sommes…c’est-à-dire un peuple divisé en deux royaumes ennemis… Le résultat n’est pas fameux.
C’est pour cela que j’ose espérer que ma relation avec Helena rassemblera les peuples. C’est d’ailleurs pour cette raison que Cupidon nous a tiré une flèche en plein cœur.

Inspirée par ces belles pensées, j’admire la peinture de Cupidon sous la coupole de l’Oracle. Le bleu ciel s’étend sur toute la surface, parsemé de nuages légers. Des anges virevoltent autour de cupidon et son arc, arme de l’amour.
Une voix qui me fait sursauter me sort de mes pensées.

- Que fais-tu ici, me demande le mari de la defunte.

Oh mon dieu… Le roi de Bienafaith se dresse devant moi et me regarde d’un air sombre. Son regard est vide et c’est presque effrayant.

- Je suis venue vous annoncer mes condoléances et vous apporter mon soutien, bégaye-je.

- Nous n’avons pas besoin de toi. Rentre dans ta grotte, ordonne le roi.

Surprise, je ne réponds pas et je ne bouge pas. Je reste plantée là comme un navet.

- File de là ! crie-t-il.

Pas besoin de me le dire deux fois, je prends mes jambes à mon cou. Je sais que toute la salle s’est tournée vers moi alors je ne me retourne pas, ne prenant pas la peine d’affronter leur regard. Je cours aussi vite que je peux.

Je ralentis la course pour reprendre mon souffle. Ce calme me permet d' entendre des pas derrière moi. Par peur, je me remets à courir jusqu’à ce qu’une voix brise mon silence.

- Attends ! s’écrie Helena. Ne pars pas, c’est moi. S’il te plaît, ne t’en va pas, me demande-t-elle avec un ton de supplice dans la voix.

Je m’arrête et me retourne. Tout de suite, Helena se jette sur moi et m’encercle de ses bras.

- Merci d’être venue, murmure-t-elle. Cela me touche.

La future reine desserre son étreinte et recule sa tête afin de se plonger dans mon regard.

Prise par un élan de romantisme, je colle mes lèvres aux siennes. Ses lèvres épousent la forme des miennes. Tout doucement et sans se concerter, nous entrouvons nos bouches pour que je lui mordille la lèvre inférieure.

Une fois que je m’arrête pour continuer notre baiser, elle fait de même avec ma lèvre inférieure. Je crois qu’elle tient à une relation d’équité. Elle ne veut pas avoir plus que moi, elle veut être au même niveau.

Par la suite, alors que je pensais notre baiser terminé, elle insère sa langue dans ma bouche. Nos deux muscles tournent l’un avec l’autre pendant que je m'agrippe à ses longs cheveux. Je resserre mon poing autour d’une grosse mèche.

Nos corps sont collés l’un contre l’autre. Alors que notre baiser transmet une forte passion, je sens son sexe se durcir contre mon bas ventre. Je ne peux pas m’empêcher un petit rire de gêne. Je suis étonnée de moi-même, de lui faire autant d’effet.

Helena recule son visage et me regarde avec un air interrogatif. alors qu’elle ouvre la bouche pour me demander quelque chose, je l’embrasse à nouveau. Je l’embrasse comme si c’était la première fois. Je l’embrasse comme si ma vie en dépendait. Je l’embrasse comme si je partais à la guerre. Je l’embrasse comme si je lui disais adieu.

Nos lèvres se séparent puis elle repart en courant. Je verse une larme pendant que je la vois s’enfuir, ou plutôt retrouver les siens, son peuple, sa vraie famille. Il faut bien l’avouer, moi je ne suis rien dans tout cela. Je suis certainement juste une personne de plus à ses pieds, une personne de plus qui veut la posséder. Je suis un grain de sable parmi le désert, une goutte d’eau dans les mers, une poussière parmi les étoiles…je ne suis rien…je suis Elowyn.

J’avance lentement durant le chemin du retour. J’ai cette image en boucle. Je vois Helena partir en courant, m’abandonnant alors que j’étais venue la soutenir. Je sais que ce n’est pas de sa faute. Je sais que ce n’est pas un abandon non plus. Oui, je le sais. Pourtant, j’ai tout de même ce sentiment de solitude.
S’il y a bien une seule chose que la vie m’a appris, c’est qu’on est toujours seul. J’ai beau être entourée, tout se fait entre moi et moi-même. Les autres sont là pour me soutenir, admirer ma réussite ou pour me voir chuter…

Je rentre au château après une heure et demie de marche. Je m’affale sur mon lit, épuisée physiquement mais surtout mentalement. Je me sens triste et sans espoir. Après tout, qu’est-ce que vaut une reine comme moi ? Rien. Je suis inutile. Je suis une incapable. Je ne mérite pas d’être heureuse…ni de vivre.
Je m’endors ainsi, avec toutes ces questions existentielles qui me trottent dans la tête.

Lorsque je me réveille, je ne me souviens pas de mon rêve avec précision. S’il y a bien une chose que j’ai retenue, c’est que quelqu’un voulait me tuer. Pourquoi ? Aucune idée. En soit, autant que je le fasse moi-même, ce sera plus rapide.

Je ne me lève pas. Je n'en ai pas envie. Pour faire plus court, j’ai envie de rien. Je végète là, sur mon lit. J’attends que le temps passe pendant que je regarde dans le vide.

Les heures passent sans que je ne me rende compte. De temps en temps, des domestiques frappent à ma porte pour vérifier que je vais bien ou pour m’apporter à manger. Je ne touche pas à mon assiette fumante. Je n’ai pas faim. C’est comme si je me laissais mourir là, sur mon lit. Je ne bouge pas d’un millimètre. Je suis pourrie de l’intérieur. Une partie de moi est morte depuis longtemps et personne ne pourra rien y faire. Pas même Helena.

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant