CHAPITRE 11 : Elowyn

18 0 0
                                    

Il me faut quelques jours pour me remettre de ma déception. J'avais imaginé des tas de scènes romantiques, mais tous mes plans tombent à l'eau. À part déprimer toute la journée dans mon lit et m'acharner sur mon sort, je n'ai pas fait grand chose. Je me sens plutôt inexistante en ce moment. J'ai l'impression que plus rien ne m'anime, ni l'écriture, ni ma lecture. J'ai perdu toute envie de vivre et toute motivation. Un rien prend des proportions énormes. Je ne comprends pas vraiment ce qu'il se passe mais ce que je sais, c'est que je ne vais pas bien. Je n'ai plus confiance en moi, je suis incapable de faire un choix, même les plus minimes.
      J'arrête de m'apitoyer sur mon sort uniquement en soirée, lorsque le messager d'Emalian me transmet une lettre de Helena, m'invitant au Festival du Printemps à Bienafaith. De nombreuses représentations y ont lieu, dont des spectacles de danse, du théâtre, de la musique, de la magie et bien d'autres encore. Je ne sais pas vraiment si je vais y aller ou pas. D'un sens, j'en ai très envie mais, d'un autre, j'ai peur de me faire à nouveau des faux espoirs donc d'être déçue. Je me sens partagée dans ma tête et cela me rend folle. J'ai passé toute la journée allongée sur mon lit et je passerai toute la soirée à faire les cent pas.
      Quelques heures plus tard, je suis requinquée. Je me dis qu' après tout, elle a fait un pas vers moi donc c'est une bonne chose. Tous mes espoirs ne sont peut-être pas tombés à l'eau. Il me reste encore une chance.
      L'événement a lieu dans une semaine : j'ai donc 7 jours de préparation mentale. Je me dirige tout de suite vers ma garde-robe. Mon apparence est très importante. Je dois me faire remarquer pour mes qualités et ma beauté et non le mal que je représente pour le peuple du Bien. Je choisis rapidement ma robe. Elle est longue et le bordeau vire petit à petit au noir. Les croisés qui cachent ma poitrine m'affinent la taille et la robe se termine en une longue traîne élégante. Je suis satisfaite de mon choix : elle me représente très bien.
      Je choisis ma tenue à l'avance afin d'être sûre d'être jolie : je rentre dans un jeu de séduction. Comme je l'ai dit, je prends la malédiction pour un défi et je dois reconnaître que cela m'amuse. Maintenant que mon choix est fait, c'est clair dans ma tête. Il faut encore que je trouve des chaussures, une coiffure et un maquillage.

      Plus les jours approchent, plus l'angoisse augmente. J'ai peur de la réaction du peuple face à ma présence. J'ai peur d'être à nouveau déçue, frustrée par Helena. J'ai peur de ce qu'il se passera après ce festival. Je passe des heures à lire et écrire, sans parler du temps de gérance du royaume. Mes journées sont longues donc je dois reconnaître que je suis assez épuisée. Chaque soir, j'ai l'impression que mes jambes vont se dérober sous mon poids. À mon plus grand étonnement, je tiens encore debout ! (Mais je ne sais pas pour combien de temps.) Les journées sont à la fois interminables et à la fois raccourcies. J'ai des listes de tâches interminables mais des journées courtes… Comment faire ? Je sens tout doucement que ma tête me lâche et je sais que, si je ne me repose pas d'ici le bal, mon corps suivra mon esprit.

      C'est le jour J. Je panique à l'idée de revoir mon amie…enfin…je ne sais pas vraiment si elle en est une…mais je ne sais pas non plus comment l'appeler dans ces cas-là…bon, bref. Helena. Je panique à l'idée de revoir Helena. Disons cela ainsi. Mes mains tremblent et j'ai le souffle coupé. Les domestiques m'aident à mettre ma robe et me l'ajustent. Elle me va à merveille : je me trouve belle et je reprends confiance en moi. En terme de coiffure, je laisse mes longs cheveux blonds ondulés vivre à leur guise dans mon dos, et j'attache mes mèches de devant à l'arrière en une fine tresse.
      Je me dirige vers les écuries. Mes nouveaux talons me font extrêmement mal aux pieds. Je ne suis pas habituée aux chaussures à bout pointu. Mais bon, "il faut souffrir pour être belle". C'est ce que ma…mère…non…génitrice…m'a toujours dit. Je ne suis pas forcément d'accord avec cette vision des choses mais dans l'instant, j'ai foi en cette maxime : c'est ma seule solution pour ne pas finir pieds nus. Comme à mon habitude, je prends Tonnerre, mon étalon noir. Son prénom est très cliché, mais il va vraiment vite. Et puis…c'est ma lumière lors des orages. Lorsque c'est la tempête un moi, c'est celui qui m'aide à prendre du recul. Enfin…pas vraiment, ce n'est qu'un cheval, mais me galoper m'aide à poser mes idées.
      Je le fais partir au galop, persuadée que le vent créé par ma vitesse emportera mes inquiétudes. J'arrive donc rapidement devant le château de Bienafaith. J'y pénètre plutôt facilement, bien que je me fasse dévisager par le peuple. Cependant, les gardes me laissent entrer. Je pense que c'est parce que Helena les a prévenus de mon arrivée. Je dépose ma monture aux écuries royales et j'attends patiemment que la Princesse arrive. Les secondes me paraissent être des heures, et les heures des jours à cause dstress...ou de l'adrénaline…ou des deux. Enfin, je l'aperçois au loin. Je reste bouche bée. Il ne me manque plus que la bave qui coule. Elle est magnifique. Sa robe saumon est en colle V et laisse apparaître les courbes de sa poitrine. Une ceinture de papillons métalliques fait ressortir sa fine taille et une fente dans la jupe laisse apercevoir sa frêle jambe. Elle est vraiment incroyable. Je n'en reviens pas. Helena se tourne sur elle-même : soit elle me cherche, soit elle cherche à faire une parade. J'avance vers elle à reculons, rongée par la peur de faire mauvaise impression et me sentant ridicule face à sa beauté. J'ai toujours eu un énorme complexe d'infériorité, avec tout le monde.
      Je me dirige vers elle de la manière la plus gracieuse que je puisse faire. Lorsqu'elle se tourne vers moi, ses beaux yeux bleus givrent mon cœur. Dans ce regard, j'ai l'impression de me perdre en elle, comme si elle était une terre inconnue à elle-seule. Ses yeux verts sont comme une forêt dont on ne voit pas le bout. C'est très certainement sa pensée la plus sincère : personne ne sait où cette histoire va nous emmener.
      J'interromps mes pensées parce qu'elle est assez près de moi pour m'entendre.
Bonjour, je dis timidement.
Bonjour, répond-elle avec un grand sourire. Je suis vraiment contente que tu sois venue. Après l'événement de la dernière fois…j'ai cru que tu m'en voudrais, renchérit-elle sur un ton désolé.
J'ai eu peur de ne pas venir non plus, j'explique honnêtement. Mais bon, il y a la malédiction et je veux sauver mon peuple. Je ne peux pas agir uniquement dans mon propre intérêt. Je le fais pour eux, pour toi et pour moi.
      Helena me remercie du regard en plissant légèrement les yeux. Je suis étonnée moi-même de constater que nous avons un moment de complicité. Je crois que c'est la première fois qu'elle m'adresse un sourire depuis tout ce que je lui ai fait subir. Le bruit du peuple qui parle de plus en plus fort me sort de ma rêverie.
       La cour du palais s'anime petit à petit. Les artistes arrivent et montent sur les différentes estrades afin de s'échauffer et de se présenter. Nous nous dirigeons vers une scène de musique. Le son est calme et apaisant. Ce sont majoritairement des cordes mais une flûte traversière se distingue au loin, tel un oiseau qui chante. La musique me détend petit à petit et je me rends compte que j'étire un léger sourire sur mes lèvres. Helena n'arrête pas de tourner la tête vers moi, sûrement pour guetter les expressions. Je ne comprends pas trop et cela me met un peu mal à l'aise. Cependant, je ne relève pas. Il vaut mieux que je me fasse petite et qu'on apprenne à se connaître réellement.
      Après quelques morceaux, je prends l'initiative de changer de scènes, c'est-à-dire changer d'artiste. L'une des estrades est vide, ce que je trouve étrange lors d'une fête qui peut donner un bonne réputation à une troupe. Je ne dis rien et je continue mon chemin. Nous nous installons finalement face à un jongleur de feu. Les flammes réchauffent l'atmosphère et dansent dans les airs au même rythme que l'artiste. Le orange vif me fascine. J'oublie tout ce qu'il y a en moi et autour de moi : Helena, ma mère, mon royaume à gouverner. Tout. Cela me fait un bien fou. Je suis bouche bée face à cet art, plutôt dangereux. Pour une fois, je me sens pleine, je me sens vivante. Pour une fois, je me sens bien.
      Quelqu'un me bouscule. Je me retourne et j'aperçois un paysan, une fourche à la main avec un regard noir. Je me place face à lui, attendant qu'il s'excuse. Cependant, ses yeux fixent les miens et il crache par terre. C'est une insulte mais je ne m'en offusque pas. Après tout, je sais que je ne suis pas à ma place. Toutefois, je ne dois pas montrer aux peuples, que ce soit celui de Bienafaith ou d'Emalian, que je me laisse "marcher sur les pieds". Je lui lance un regard noir plein de haine et je serre les poings, prête à me défendre. L'homme baisse la tête et s'en va. Je suis maintenant satisfaite du respect qu'il me donne. Les gens ont souvent tendance à me comparer au Diable, mais non ! Le Mal n'est pas toujours extrême, pareil pour le bien. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc, ce sont des nuances de gris. Après ces pensées philosophiques, je constate que la Reine du Bien n'est plus à côté de moi : elle se situe maintenant devant l'estrade vide. Je me rejoins calmement avant de la questionner :
Que regardes-tu ? Je lui demande.
Tout et rien, j'étais dans mes pensées, me répond Helena.
      À ce moment, un homme sort des rideaux. Il s'y était caché sans que personne ne s'en soit aperçu.
Bonjour à tous ! S'écrit-il alors que les gens s'agglutinent devant lui. Le moment tant attendu arrive. Nous allons maintenant accueillir une grande artiste et…pas n'importe laquelle, précise-t-il.
      Tous les regards portent maintenant sur l'Homme, même ceux des personnes qui ne sont pas au pied de l'estrade. Ce qui est étrange et qui me fait peur, c'est qu'ils ont tous l'air au courant de ce qui va suivre…mais…pas moi.
Accueillez maintenant notre grande, magnifique et très chère Reine du Bien Helena pour son grand numéro !

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant