CHAPITRE 13 : Elowyn

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De lourdes larmes coulent le long de mes joues pâles. Je ne sais pas pourquoi j'y ai cru. Depuis le début, elle me dit qu’elle ne veut pas de relation. Pourtant, je ne l’écoute pas parce que je suis omnibulée par mon peuple. Cependant, je ne comprends pas pourquoi elle m’a alors dédié cette danse. "Oui, je fais une chorégraphie pour toi parce que je t'apprécie mais non, je ne me mettrai pas en couple avec toi." C'est tout le temps comme ça. Je n'en peux plus. Les gens sont tous contre moi. J’étais allongée et en train de déprimer dans mon lit mais là, je ne contrôle plus mon corps : je me lève et mes jambes partent en courant.  Je cours, encore et encore dans la cour, jusqu'aux écuries. J'enfourche Tonnerre et je pars au galop sans regarder derrière moi. Je sais que des gardes me courent après parce que je les entends crier mon nom au loin, certainement pour que je revienne parce qu’il est déconseillé de sortir si tard, seule.. Non, c'est hors de question. J’en ai marre de souffrir, de toujours me prendre les remarques des autres en face. J’ai besoin d’air parce que je sens que je vais exploser. J’avais prévu de rentrer dans un jeu de séduction pour qu’elle tombe amoureuse de moi, pour sauver nos peuples, mais tout ce qu’elle m’offre, elle, ce sont des mots tranchants. Je voulais même lui offrir une rose blanche mais après tout, tant pis pour elle. J’en ai fait une citation : “Les roses fanent parce que les amours n’attendent pas.” Je trouve qu’elle résume bien la situation. En effet, la fleur que j’avais cueillie est toujours accrochée à ma selle et se flétrit à cause de la chaleur. De colère, je lui arrache les pétales puis jette la tige par terre, pendant que les sabots de Tonnerre la piétinent dans sa course. Je reste longtemps dans les bois, autour d’un marécage. j’écoute les moustiques me tourner autour. Enfin quelqu’un qui veut de moi, je pense (bien que ce soit surtout mon sang qui les intéresse). J’admire aussi les étoiles scintillantes qui éclairent la nuit. J’aimerais devenir l’une d’elles, me perdre dans l’obscurité.
Je rentre tard au château. Les gardes sont soulagés de me revoir mais, à ma grande satisfaction, aucun ne pose de question. Je file me coucher toute habillée : Kayla m’aidera à me changer demain.

      Les jours suivants, je reçois des lettres. Une d'elles me raconte la fin du bal, qui était apparemment super mais il aurait été encore mieux en ma présence. Mais bien sûr, j'ironise. Et puis quoi encore ? Maintenant que je suis partie, tout est mieux, n’est-ce pas ? Si le bal était “super”, c’est parce que je n’étais pas présente. Vexée, je décide de ne pas répondre à ses lettres. Je l’ignore. Je garde le silence.
      Je décide de me recentrer sur moi, sur ce que j’aime. Je passe d’abord quelques jours dans ma bibliothèque, à observer mes murs remplis de livres ou à épier les habitants du village par la fenêtre. Je ne fais rien, à part ressasser des pensées douloureuses. De temps en temps, je sors un livre pour le feuilleter et me changer les idées mais c’est impossible. Je me sens rejetée, ce qui me donne l’impression de n’avoir aucune valeur. Je ne suis qu’une merde, je pense régulièrement. Les merdes pourrissent la vie des autres, elles n’ont pas à vivre, donc je ne mérite pas de vivre non plus.
Peu à peu, je retrouve de l’inspiration et je me mets à composer des poèmes. j’en écris plusieurs par jour, mais peu d’entre eux me satisfont. Je sais que je suis dure avec moi-même mais cela fait de moi quelqu’un de forte…en tous cas, c’est ma conviction. Je finis par écrire deux quatrains très simples qui résument toutes mes pensées.

Hely, je m'excuse sincèrement.
Je suis rapide et un peu maladroite
Mais la peur d'être rejetée miroite
Vers ce passé qui m'a blessé, vraiment.

Je comprends si tu ne veux pas de moi,
Si tu veux que tout s'arrête entre nous.
Je suis un peu paniquée, je t'avoue,
Peur de ne pas être assez bien pour toi.

Saches que je fais tout ça pour nos peuples
Ainsi que pour ton bien, le mien, le leur.
Je sais bien que ce que je dis fait peur
Mais il faut agir, le Mal nous dépeuple.

Je ne lui enverrai pas. Peut-être. Non. J’ai dit que je coupais les ponts, alors je le fais vraiment. Je me suis même permis de donner un petit surnom. Bien  évidemment, je ne l’appellerai jamais ainsi : ce qui est en moi reste en moi. Et puis…disons que c’est uniquement pour avoir le bon nombre de pieds dans mon poème. Ce n’est pas un surnom affectif, bien sûr. Plus j’y pense, plus ce poème est trop simple et trop moche. Bref… Je ne n’aimerais jamais ce que je produis, et je ne dois pas. Si je veux m’améliorer, je dois viser toujours plus haut. Je m’interroge aussi sur l’homosexualité. A vrai dire, cela ne m’a jamais vraiment dérangé mais…quand elle concernait uniquement les autres. D’un sens, ce n’est pas plus mal que Helena m’ait rejetée….ou du moins…ne veuille pas tomber amoureuse de moi?Je crois que, de toute façon, je ne suis moi-même pas prête à aimer une fille. Ce qui me perturbe et me met mal, c’est surtout le regard des autres. Que vont-ils dire ? Ils me comparent déjà au diable, alors si j’aimes les filles ! N’en parlons pas. Je serai le diable lui-même maudit. C’est interdit par le Livre d’obligations. Si nous tombons amoureuses l’une de l’autre, nous devrons être exécutées. Je commence à stresser, à secouer mes jambes nerveusement par culpabilité. Oui, je culpabilise…de ne pas être comme les autres. Je culpabilise de ne pas aimer les hommes, comme elle. Je le sais depuis quelques mois maintenant, mais je crois qu’une partie de moi ne l’accepte pas. La partie de moi qui n’est pas bien, peut-être cette même partie qui repousse Helena ? Je suis perdue. Je veux me punir. Je mérite de souffrir. En tant que Reine, je ne dois pas être hors normes. Je dois me martyriser d’être différente.
Je suis seule dans mon bureau. Les valets sont de l’autre côté des portes. Je n’ai pas besoin d’être sur mes gardes puisqu’il fait nuit : je peux me punir sans que personne ne le voit. Je défais ma chemise de nuit, maintenant en sous-vêtements. Je sors mes ciseaux et ouvre les lames. Le mécanisme grince légèrement lors de l'ouverture. Je place l’une des lames face tranchante sur une de mes côtes puis je la fais glisser sur ma peau en appuyant. Une coupure très fine se crée. Une coupure trop fine à mon goût. Sur cette même entaille, je repasse une fois, puis deux, puis trois, jusqu’à ce que la fente soit assez profonde à mon goût. Le sang coule le long de ma cage thoracique. J’admire le rouge vermeil couler sur ma peau et je laisse le tissu de ma culotte s’imbiber de mon sang, qui a dévalé sur mon ventre. Ma tête commence à tourner et ma vue se brouille parce que je ne supporte pas la vue de ce liquide. Malgré tout, je rigole. Cet acte me fait tellement de bien. J’avais l’impression que quelqu’un m’étranglait et, tout à coup, je peux à nouveau respirer normalement. C’est une libération. Cette sensation est si agréable que j’en deviens dépendante. Ce n’est pas la première fois que je me mutile, je le fais maintenant très régulièrement. Je deviens accro à ce sentiment de soulagement.
J’aime tellement me faire du mal que je refais une entaille, puis deux, puis trois, jusqu’à ce que je ne supporte plus la douleur. Je me sens maintenant plus légère. Tout mon mal-être s’est envolé. Je peux maintenant reprendre le cours de ma vie, comme si de rien n’était.

Sur un coup de tête, je décide d’envoyer une lettre à Helena. Chez moi, toutes mes actions sont des pulsions. Je lui propose de participer à un tournoi. Dans notre monde, même si nous sommes protégées par des gardes, nous sommes obligées d’apprendre à nous battre. La guerre des pouvoirs unilatéraux font partie de mon éducation et la guerre pour la paix fait partie de celle de Bienafaith. Je lui propose aussi, avant cela, qu’on s’aide l’une et l’autre à choisir une armure et une nouvelle arme. C’est à la fois un besoin et un prétexte pour la voir. Je ne supporte pas de rester loin d’elle, parce que cela veut dire laisser mon peuple dans la souffrance. Je sèche le sang avec mon mouchoir en tissu puis je me rhabille. Alors que je m’apprête à appeler le messager qui la transmettra, ce-dernier vient à moi, une lettre royale provenant du royaume du Bien à la main. Je ne lui passe donc pas la mienne. A la place, je lis celle de Helena. Dans son courrier, c’est la princesse qui fait le premier pas. Elle m’invite à nous affronter, en tant que Reine et Princesse. Chaque personne qui participe au tournoi doit se battre contre quelqu'un de son rang. C’est un combat de force, mais aussi d’honneur et de supériorité. Il faut que je gagne ce combat pour lui prouver que je suis forte, moi aussi.
Je ne sais pas si je dois accepter ou pas. J’ai peur de perdre parce que, si c’est le cas, je n’aurai plus du tout confiance en moi. Comment vivre en permanence dans la peur et l’incertitude ? C’est impossible. Je me fais une promesse : si je gagne, tant mieux, si je perds, je dois mourir. Je ne supporterai pas que mon royaume me croie incompétente. Le pacte avec moi-même terminé et approuvé, je réponds positivement à son invitation.

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant