CHAPITRE 16 :Helena

10 0 0
                                    

En essayant de m'embrasser, Elowyn m'a prise de court. Je ne m'y attendais pas et, par réflexe, j'ai tourné la tête. Je pense que c'était très maladroit de ma part mais je n'ai pas pu contrôler ma réaction. En fin de compte, ce n'est peut-être pas plus mal, parce que je ne sais plus ce que je veux. Je dois reconnaître que, lorsque je l''envie de l'embrasser me fait  me sentir dans mon élément, c'était une évidence. Maintenant que cet instant est passé, je remets ce baiser en question. Ai-je bien fait de détourner ma bouche pour que le baiser atterrisse sur ma joue ? Et si elle ne m'accepte pas comme je suis ? Et si elle me considère comme un garçon ? Toutes ces questions mises sous silence me rendent nerveuse.
Pardon, dis-je.
      Elowyn me regarde mais ne répond rien. Son silence est une réponse : je l'ai blessée.
      Nous payons nos articles dans un silence mortel avant de repartir chacune de notre côté en lâchant un simple "Au revoir". C'est tout. Rien d'autre. Je culpabilise. Je ne voulais pas qu'elle se sente rejetée de la sorte. Je regrette mes réflexes (même si parfois, ils sont utiles).
      Je rentre au Palais de Bienafaith, perturbée par les derniers événements. Je me sens ensevelie par mes émotions, perdue sous cet amas de questions. Je ne sais plus où tourner la tête : je me sens dépassée.
      En pénétrant dans mes appartements, je croise encore Helios qui est et qui sera pour toujours mon garde. Le voir m'énerve : pas contre lui mais contre moi-même. J'ai obéi à mes pulsions qui me font faire n'importe quoi, comme embrasser un garde qui est donc de rang inférieur, que je connais à peine et dont je ne suis pas amoureuse. C'est n'importe quoi. Le problème de ces pulsions ne sont pas vraiment mes actions mais les conséquences : les regrets. J'ai totalement perdu la tête ce soir-là. J'avais juste besoin de réconfort alors je me suis jetée dans ses bras. Pourquoi lui et pas ceux d'Elowyn ? Ce serait plus utile, après tout ! Il n'y aurait plus eu de Malédiction et je ne l'aurais pas blessée ! Mais non. Il faut que ces pulsions me compliquent la vie. Ce serait trop facile, sinon.
      Je me dirige vers la baignoire après que les domestiques m'aient aidée à me déshabiller. Je m'immerge sous l'eau brûlante afin d'évader à toutes ces pensées qui se bousculent dans ma tête, avec Helios maintenant du côté extérieur de ma porte de ma suite. Puis, sans vraiment savoir pourquoi, je repense à Elowyn. Elowyn et ses sombres. Elowyn et son beau sourire. Elowyn et son corps musclé. Elowyn. Juste Elowyn.
      Lorsque je remonte à la surface afin de respirer, cette image disparaît. Puis, je ferme à nouveau les yeux et je la vois. Elle et rien qu'elle. C'est comme si elle était là alors que ce n'est pas le cas.
      Un frémissement parcourt mon corps en même temps que mon ventre se contracte. Je crois qu'elle commence à me plaire. Cependant, me connaissant…est-ce juste ce soir ou elle me plaît-elle réellement ? S'il se passe la même chose qu'avec Helios…je ne voudrais pas la blesser. Je ne veux pas la blesser comme elle l'a déjà fait avec moi. Je ne sais plus. Je n'arrive pas à me poser et à prendre une décision définitive. Il faut que j'aille la voir.
      Mon bain à peine terminé, j'enfile une jolie robe et je pars la rejoindre. Mon cheval galope à toute vitesse. Je n'arrête pas de lui donner des coups de talons dans le flanc pour qu'il accélère mais je crois qu'il ne peut pas être plus rapide. Le vent frais décoiffe mes cheveux encore humides et mes bijoux créent une jolie mélodie au rythme de ma course à chaque cliquetis.
      Quand je passe la frontière, j'ai envie d'aller encore plus vite. Je ne peux pas m'empêcher de rester calme. Mon cœur bat à mille à l'heure sous la panique de ce que je m'apprête à dire à la Reine du Mal. J'agis encore sur un coup de tête mais après tout, peut-être que cela pourrait s'avérer utile.
      Enfin arrivée au château tout de noir, je demande l'autorisation d'entrer à un garde.
La Reine n'est pas là, dit le garde d'une voix d'automate.
Où est-elle, s'il vous plaît, supplie-je presque.
Je n'ai pas le droit de vous le dire, Princesse du Bien. Cette information reste confidentielle.
S'il vous plaît, je le supplie. Je dois vraiment lui parler.
Voulez-vous que je lui transmette un message ? répond-il
Non, je dois lui parler de vive voix. S'il vous plaît…
Désolé, Princesse. Je ne peux pas. Si je vous réponds, je serai dans l'obligation de me faire exécuter, avoue le garde.
      Je suis déçue. J'ai bien peur que je ne puisse pas voir Elowyn ce soir. Cependant, il me reste une seule solution : la trouver par moi-même.
      Je remonte sur ma monture et je fonce aux jardins. Je suis bien consciente que nous sommes dans le royaume du Mal mais tout me paraît tout de même très sombre, bien que j'étais au courant de cette obscurité. Les sabots de mon cheval frappent violemment les cailloux gris ternes des allées, entourées de buissons aux feuilles noires. Tout en avançant, j'admire les carrés de végétation, dans lesquels se trouvent uniquement des rosiers tout de noir, sauf les fleurs qui sont tellement noires que leurs reflets sont bleus. C'est assez impressionnant de voir comment un même monde peut en abriter deux très différents.
      Je fais le tour des jardins que je découvre pour la première fois et, à part des gardes, je ne vois personne. Enfin…pas elle.
      Je décide de sortir du château pour aller dans les villages à proximité. J'en fais le tour au pas afin de ne pas réveiller les habitants. Un village. Puis deux. Puis trois. Rien. Elle n'est pas là. Je ne la trouverai pas ce soir : je laisse tomber.
      Peu à peu, je vois une forêt qui se dessine au loin. Je décide de m'y engouffrer afin d'être un minimum à l'abri des intempéries. L'orage gronde et les nuages sont menaçants. J'aimerais trouver un endroit où m'abriter, tel un arbre ou une grotte. En naviguant entre les arbres, j'ai à nouveau l'espoir de trouver Elowyn là, toute seule, peut-être avec sa monture. Malheureusement, je ne vois toujours rien, ou plutôt…personne.
      Un éclair tonne et mon cheval se cabre, apeuré par la détonation. La pluie croule sur moi, déclenchée par le tonnerre. Je tombe violemment sur le sol humide qui rend ma robe toute boueuse et recouverte d'épines de pins. Je suis sale, ce qui fait au moins une bonne raison de ne pas avoir vu la Reine du Mal.
      Un éclair tonne à nouveau et, toujours à terre, je ne parviens pas à retenir mon cheval, qui s'enfuit. Je lui cours derrière mais cela ne sert à rien, je crois qu'il a encore plus peur. En me lançant à sa poursuite, je perçois enfin un semblant de lumière. Je suis cette lueur pendant certainement un kilomètres, entourée de lucioles qui éclairent mon chemin. J'atteins enfin un petit chalet en bois noir dans lequel toutes les lumières sont encore allumées. J'espère pouvoir y trouver refuge pour la nuit. Rien ne se passe comme prévu et je suis très déçue. Je me suis encore emballée. Bref, je vais frapper à la porte, honteuse de demander hospitalité dans cet état. J'espère que la personne ne me reconnaîtra pas. Je ne veux pas avoir une réputation de fille sauvage.
      Je frappe à la porte mais elle ne s'ouvre pas. J'attends quelques minutes, croyant que ma personne arrivait mais au bout d'un certain temps, je déduis que l'on ne m'a pas entendue. Je frappe une nouvelle fois en donnant trois petits coups. Rien. C'est le silence total. Enfin, j'entends du bruit provenant de l'intérieur et je reprends espoir. Je regarde mes pieds afin de ne pas affronter le regard de l'interlocuteur alors que je suis pleine de boue. La porte s'ouvre. Je n'attends même pas que la personne me dise bonjour que je parle déjà.
Bonjour ! Je me suis égarée dans ce bois et ma monture s'est enfuie. Pourriez-vous m'héberger pour cette nuit, s'il vous plaît ? Bien sûr, vous serez rémunéré pour votre hospitalité.
      J'ai fini ma requête mais la personne qui se trouve en face de moi ne répond pas. Je relève la tête en espérant que croiser son regard aboutira à une réponse, même négative. Elowyn se tient devant moi.

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant