Je reçois une flèche en plein cœur. Je commence à saigner mais je n'ai pas le temps de réfléchir sur la situation que Cupidon apparaît. Je 'e sais plus qui je suis ni où je suis. Tout ce que je sais, c'est que notre dieu est face à moi. Je ne l'avais jamais vu en vrai. Il paraît très fin dans sa toge antique. Les fentes de l'habit laissent apparaître ses jambes allongées et musclées. Il tient encore son arc doré dans sa main, prêt à tirer une nouvelle flèche, comme si j'allais courir et pouvoir lui échapper.
Ses yeux ténébreux croisent les miens. Je me sens bien, comme apaisée. C'est comme si je le connaissais depuis toujours, comme si sa présence me rassurait. Je me sens aussi soudainement aimée et en sécurité. Je n'avais jamais ressenti cela avant. C'est nouveau, bizarre et perturbant.
B…bonjour, je balbutie.
Il manque presque le fil de bave pour décorer ma bouche, légèrement ouverte. Plus que ça, et j'aurai tout d'une débile ébahie.
Elowyn ! S'écrit le dieu d'un ton enjoué. Ça faisait longtemps !
Soudain, il change de voix. Ses paroles deviennent un murmure.
Que ta vie te mène à un certain amour. Tu aimeras la princesse du Bien éternellement, que tu le veuilles ou non. Rien ne t'en séparera. Si tu parviens, par une ruse, à échapper à cette malédiction, ton peuple sera réduit en miettes.
Puis il disparaît.
Tout est allé très vite. Je n'ai pas le temps de mettre un sens à ses paroles qu'il est déjà parti. Aucune négociation possible. Au moins, ce qu'il m'a dit est clair. Je n'ai pas le choix. De toute façon, la malédiction est déjà tombée. Elle me convient. Helena est plutôt jolie, ça ne devrait pas être dérangeant. Et puis, c'est elle qui ne veut pas de moi et non l'inverse. Toute la difficulté sera pour elle, pas pour moi. Il n'a pas l'air très difficile de tomber amoureux d'une fille avec beaux cheveux noir et un regard nature. Par contre, de son côté, cela va être plus difficile.
Ok, je m'emballe. Le Bien et le Mal ne peuvent pas s'aimer donc l'histoire ne peut pas se résumer à cela. Je pense que cela va être bien plus compliqué que cela. Je suis prête à tout pour mon peuple, d'autant plus que le sacrifice n'est pas insupportable. Elle risque de me taper un peu sur les nerfs, mais rien de bien méchant. Ça me va. Le plus difficile sera pour elle.
Je crois que cette malédiction ne me fait ni chaud ni froid. Je suis vide. Si c'est mon devoir, je le ferai. Je le ferai pour mon peuple et rien que mon peuple. Le reste m'importe peu, que cela me concerne moi ou Helena. Et puis, pour rétablir l'équilibre du Bien et du Mal, il suffit peut-etre que j'aille juste un peu mieux, ou bien que nous entretenions une relation amicale et pas forcément amoureuse.
La douleur s'intensifie et mon cœur saigne de plus en plus. J'arrache la flèche, bien consciente que la malédiction a déjà été appliquée. Je n'ai plus besoin de souffrir.
Je remonte sur mon étalon noir et je repars en direction du château. Le sang met du temps à sécher, surtout lorsque je passe du trot au galop. Encore une fois je me sens vide. Je ne sais pas quoi penser des derniers événements. En soit, la malédiction n'est pas si horrible mais elle ne va pas dans le sens commun. Le Livre d'Obligations interdit toute relation homosexuelle. Je ne sais pas vraiment comment mon peuple réagira. C'est peut-être ça qui me fait le plus peur, surtout que je le fais pour eux.
Je réfléchis à la première sortie que je pourrais proposer à la princesse du Bien. Il faut apprendre à faire connaissance avant de faire quoi que ce soit. Bon, pour commencer, je devrais déjà l'appeler par son prénom : Helena. C'est juste que j'ai l'impression de parler d'une amie quand j'utilise son prénom. Ajouter son statut la rend plus noble et pousse à être plus respectueux. Bref !
Il faut aussi que, de mon côté, j'aille mieux. Alors que je suis sur le trajet du retour, tout se met en place dans ma tête. Je prévois de tenir un journal intime afin d'analyser ma façon de penser. Je décide aussi de lire des livres de développement personnel afin de mieux comprendre mon fonctionnement et apprendre à gérer mes émotions. Je prends l'initiative d'écrire un poème tous les jours, sur ce que je ressens, comme pour imager ce qu'il se passe en moi. Ce ne sont que des idées, mais je me dis que cela peut valoir quelque chose.
Arrivée au château, je m'empresse de lui écrire une lettre. Je lui propose, de façon la plus amicale possible (même si c'est un peu dur pour moi) de se balader dans les jardins de son royaume. Ce n'est pas que je veux m'inviter chez elle mais je sais qu'elle va râler quand elle aura des épines de roses sous la semelle de ses chaussures. Et puis, mon royaume est tout de noir, coulekr qu'elle ne supporte pas. Pour ne pas la brusquer dès le début, je vais essayer d'aller un maximum en son sens. Enfin voilà, c'est l'idée. Nous pourrions peut-être prendre le thé sous un arbre et discuter pour faire connaissance ! Pour être honnête, j'ai un peu peur que sa réponse soit négative, mais bon. C'est pour nos peuples. Du moins…c'est ce que j'essaie de me dire.
Je transmets rapidement la lettre au messager, qui part sans plus attendre. J'espère avoir la réponse d'ici ce soir, bien que je sais que le délai est court. L'avantage, c'est que les deux châteaux sont près des frontières afin que le Bien et le Mal puissent communiquer rapidement. Bien sûr, c'était l'idée de mon père. Comme quoi, le Mal n'est pas toujours si mauvais !Le temps me semble non. J'ai une montée d'adrénaline depuis plusieurs heures. J'essaie de faire passer les minutes plus vite (ou du moins, de me donner l'impression que le temps passe plus rapidement) en faisant les cent pas. Mes mains tremblent d'excitation. Je suis incapable de rester en place, je gigote dans tous les sens. J'ai la "bougeotte", comme dirait mon père. C'est une expression utilisée par le peuple. C'est vulgaire pour une reine d'employer ce mot mais, après tout, ce n'est que dans mon discours interne.
Pour m'occuper, je décide d'aller me balader dans les jardins du palais. J'enfile mes bottes à talons noires et je sors de mon bureau d'un pas assuré (ce qui est totalement faux dans ma tête, puisque j'ai peur de sa réponse). J'ai le regard dur pour montrer mon assurance et je dis bonjour à chaque domestique ou chevalier que je croise. C'est important, d'être polie. Je veux qu'ils aient de bonnes conditions de travail (dans la mesure du possible). Certes, je suis leur reine mais ce n'est pas une raison pour les traiter comme des êtres inférieurs, des moins que rien. La hiérarchie n'est pas ma priorité.
D'ailleurs, revient bientôt de sa semaine de congés. J'espère qu'elle aura retrouvé une bonne mine.
Lorsque je passe le pas de la porte, je reçois une bourrasque en plein visage. La fraîcheur du vent me donne froid aux yeux, ce qui fait perler une petite larme sur ma peau pâle. Je descends les marches de l'avancée lorsque je manque de m'étaler sur les cailloux. À vrai dire, je ne suis pas très concentrée. Je regarde autour de moi, priant Cupidon pour que personne ne m'ait vue. Heureusement, je suis seule. Ce n'est pas très logique, d'ailleurs. Pourquoi n'ai-je aucune protection ? Bon, j'ai une petite dizaine d'armes sur moi : j'espère que cela suffira si on l'attaque soudainement.
Lorsque j'avance, j'entends les cailloux crisser sous mes pieds. Le son aigu me donne des frissons. J'accélère le pas, un petit peu stressée par ce bruit désagréable. Le crissement des cailloux forme une mélodie de percussions. Je regarde autour de moi et j'aperçois la fontaine d'eau noire qui forme un rond-point. J'en fais plusieurs fois le tour, trop dans mes pensées pour choisir une direction. Les statues de petit diable sont en marbre blanc, ce qui fait contraste avec le liquide de couleur obscure. Je frôle la surface de cette eau de l'index, créant des ondes dans la fontaine. J'aperçois, au fond du bassin, les petites pièces scintillantes qui sont censées porter bonheur. J'en sors à mon tour une de mes poches et je fais un voeu : être heureuse. C'est la seule chose que je demande. Être. Heureuse. La perte de mon père crée un profond vide en moi. C'est comme si j'étais morte avec lui intérieurement. J'ai l'impression de devoir reconstruire toutes les bases, toute ma vie. Je n'ai plus rien, plus aucun repère. C'est le néant.
Je me dirige vers le labyrinthe de buisson. Étant donné que je suis perdue dans ma tête, je trouve cette idée drôle, de me perdre physiquement. Au moins, mon esprit et mon corps seront en adéquation. Ici, toutes les plantes, les tiges et les feuilles sont noires, contrairement au vert vif de Bienafaith. J'avance d'un pas pressé, stressée par la situation. Je porte la main à mon sein gauche, sur mon cœur. Je le sens battre à toute allure. Mes jambes tremblent de peur, je ne sais pas comment je tiens encore debout. Je ne veux pas me sentir rejetée une fois de plus. Mais en même temps, ce serait plutôt logique qu'elle m'envoie promener. Après tout ce que je lui ai fait, garder ses distances lui permettrait de se protéger' J'ai toujours été la bonne élève, la chouchoute des professeurs qui faisait des coups bas dans le dos des enseignants. Dès qu'un enfant se plaignait de moi, le maître ne le croyait pas puisque j'étais une élève modèle. En plus, j'étais aussi dans une classe de paysans, dans une école mixte (en terme de sexe et de catégorie sociale). Certains ne comprenaient pas l'importance de mon titre d'héritière. Je vivais dans un palais tandis qu'eux étaient entassés dans des petites chambres. J'avais de belles robes tandis qu'eux s'habillaient d'un grand carré en coton. J'étais différente d'eux. La personne qui pouvait me comprendre le mieux, c'était Helena. Mais même elle ne me comprenait pas. Je n'étais pas une personne à ces yeux, j'étais juste une incarnation du mal. Elle oubliait que j'avais des bons côtés et que le mal provenait de mon mal-être profond et non de ma volonté de tout ruiner.
Des pas qui approchent attirent mon attention. Sans m'en rendre compte, j'avais baissé la tête et des larmes perlaient sur mes joues. Je les essuie du revers de la main avant de relever la tête et d'afficher un grand sourire. Lorsque je me retourne, je reconnais le messager, une lettre à la main.
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Équilibre : La Malédiction de Cupidon
RomanceElowyn, la princesse du Mal devient reine suite à la mort de son père. Son mal-être prend le dessus et l'équilibre entre le Bien et le Mal est brisé. Pour rétablir cet équilibre, Cupidon va tirer une flèche sur la Reine Elowyn et la princesse du Bie...