CHAPITRE 26

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Je pénètre dans ma chambre et je claque la porte derrière moi. Je me jette sur mon lit pour finir par m'effondrer au-dessus de mes draps. Je pleure à nouveau toutes les larmes de mon corps. La danse va-t-elle suffir à exprimer toute ma souffrance ? Je ne suis pas sûre, non. Rien n'est à la hauteur de ma douleur.

      On frappe à la porte. Je relève la tête et j'essuie mes larmes du revers de la main puis je m'empresse d'ouvrir la porte. Mon père se tient là, face à moi. Je me jette dans ses bras. Je n'ai pas pris le temps de l'observer dans les moindres détails mais je crois qu'il pleure aussi parce que je l'entends renifler.

- Ça va aller, mon fils, chuchote-t-il.

      Je me dégage de ses bras pour l'affronter du regard.

- Je suis une fille, réponds-je sèchement.

     Mon père baisse les yeux. Je vois bien que c'est trop pour lui, qu'il ne m'accepte pas tel que je suis…mais comment le faire changer d'avis ? Que puis-je faire pour qu'il m'accepte enfin telle que je suis ?

Les larmes redoublent de flux. Je pleure de plus en plus, comme si une tempête arrivait et…je suis la tempête. On dit toujours que l’amour est proche de la haine alors je crache “Je te déteste” puis je pars en courant. Demain, c’est l’enterrement de ma mère et, en tant que future reine, je dois me montrer impassible afin que le peuple ne me voie pas en position de vulnérabilité.
La journée passe lentement. Je suis allongée dans mon lit et je regarde ce qu’il se passe au château à travers ma fenêtre. La tour dans laquelle je suis surplombe ce royaume joyeux et coloré. Avec les récents événements, je me sens totalement en décalage avec cette apparence de perfection. Je m’endors d’épuisement, vidée par mes pleurs. Lorsque je me réveille, c’est le jour J, c’est-à-dire les derniers adieux à ma mère.

Nous sommes devant l’Oracle et je tente tant bien que mal de retenir mes larmes. Mon père a crocheté son bras au mien et nous nous enfonçons lentement à l'intérieur du bâtiment. Les violons jouent déjà d’un air mélancolique et cette triste musique accroît mon envie de pleurer. Je me retiens mais je sens que mes yeux sont chargés d’eau. Je ne vois plus rien, ma vue est brouillée par l’humidité de mes yeux. J’avance donc à l’aveugle, dirigée par mon père. Nous nous asseyons au premier rang alors que les paysans se situent dans les dernières rangées. Le peuple se fait nombreux. Je ne pensais pas qu’autant de monde viendrait. Derrière nous, les aristocrates chuchotent et je me demande ce qu’ils disent. Est-ce qu’ils parlent de moi ?

- Ça va ? me questionne mon père.

- Non, murmure-je.

Je tourne la tête pour cerner ce qu’il ressent. Je me sens moins seule et moins faible lorsque je vois que ses yeux sont larmoyants aussi. Il me prend dans ses bras. Je profite que mon visage soit caché pour verser quelques larmes.
Les témoins de Cupidon entrent à leur tour dans l’Oracle, suivi du cercueil dans lequel ma mère se trouve. Tout le monde se lève. J'entends déjà des bruits de mouchoir. C’est injuste. Eux, ils peuvent pleurer. Si moi je verse une seule larme, je serai considérée comme une faible. Tout le monde nous observe, je le sais, bien qu'ils ne le laissent pas paraître. Je, enfin…nous, n'avons pas le droit à l'erreur.
          Une fois le cercueil déposé sur l’autel, tout le monde se rassoit. C’est au bon moment parce que je sens mes jambes se dérober sous mon poids. J’ai la tête qui tourne, j’ai mal au ventre. Je ne me sens pas bien. En fait, allons droit au but : je me sens affreusement mal. La mort de ma mère est une événement difficile, mais les conséquences le sont d'autant plus. Pour être plus claire, il y a l'incinération, qui est une passade difficile, surtout quand on se dit qu'un être qui nous est cher est réduit en cendres. Bref. Il y a aussi l'impact politique. Soit mon père choisit de régner seul (ce que je ne le pense pas capable de faire, étant donné que c'était toujours ma mère qui s'occupait de tout), soit je me fais couronner. L'idée a l'air plaisante, dit comme ça, mais cela signifie surtout que tout se ramènera à moi. En soit, c'est tout simplement le rôle d'une Reine. Cependant, pour être honnête, je le fais plus par devoir que par envie.

     Alors que je suis dans mes pensées, les violons s'accélèrent. Le son se fait plus fort, plus vite, plus rude. La musique installe une sorte de transe dans l'Oracle. Le maître de cérémonie s'avance près de l'autel, là où le cercueil est posé.
Mesdames et messieurs, nous sommes réunis aujourd'hui en l'honneur de notre défunte reine, décédée d'une maladie jusqu'alors inconnue des médecins. Ici présents se trouvent son mari, le Roi, et sa fille, la Princesse Helena. Je ne vais pas parler plus longuement car je vais leur laisser la parole. Monseigneur, souhaitez-vous commencer ?

        Mon père se lève pendant que le peuple applaudit pour l'encourager. Il se place sur le présentoir à côté du cercueil et se racle la gorge. À vrai dire, je n'écoute pas son discours. Je suis occupée à penser à ce que je vais dire, moi. Je n'ai pas le talent d'écriture d'Elowyn… Le roi finit son discours alors que sais que c'est à mon tour. Une fois qu'il se rassoit à côté de moi, je me lève.  Je me place, comme il l'avait fait, devant le présentoir mais aucun mot ne sort. J'ai l'impression d'avoir un collier de barbelés autour du cou. Je décide donc de faire autrement.

      Je me mets à danser. Il y a d'abord des cris exclamations, puis je captive l'attention du public. Heureusement, ma robe noire est toute fluide, ce qui me permet de bouger aisément. Les violons, qui se sont tus pour me laisser parler, accompagnent la danse. Je mélange les mouvements liés et les sauts. À la fin de ma prestation, les gens applaudissent encore plus fort que ceux pour le Roi.

      Le maître de cérémonie nous a invité à toucher le cercueil avant de le mettre au feu. J'ai craqué. J'ai versé toutes mes larmes. Tant pis. Je suis faible, un point c'est tout.

      Pendant que maman prend le feu, je sors de l'Oracle pour prendre l'air. Je regarde mes pieds, honteuse des larmes qui dévalent mes joues. Lorsque je relève la tête pour voir où je marche, Elowyn se tient là, face à moi.

Équilibre : La Malédiction de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant