CHAPITRE 5 LA GRANDE AURORE

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Le vin avait eu l'effet de barbiturique escompté et m'avait enfoncé dans un sommeil lourd même s'il était toujours trop court. Je mis quelques secondes à me souvenir où je vivais à présent. Mon appartement d'étudiante foisonnant des bruits rassurants de la ville se transformait au fil de mon éveil en vieux garage au milieu de nulle part avec le vent et l'humidité pour seules compagnies. Je resserrais mon gilet autour de ma poitrine, j'étais encore une fois transie. Je me sentis surtout seule et perdue.

Je pris une douche rapide mais chaude puis repris mes notes afin de me laisser happer par une activité qui m'empêcherait d'éprouver cette sensation désagréable. La sonnerie de mon téléphone me fit sursauter et me sortit de ma totale concentration. Silly s'étonnait de ne pas me voir le rejoindre comme convenu. Bien-sûr ! J'avais oublié le temps qui filait. Je ramassais mes affaires quand je me rendis compte que je n'avais rien avalé. Je me fis un thé et suçotais deux cuillers de beurre de cacahuète. Une vision du sourire chaleureux de ma mère traversa mon esprit. Puis j'eus envie de jouer la comptine qu'elle avait composée pour moi enfant au piano et l'air était déjà en train de remplir tout mon esprit. Mais Silly m'attendait. Je fermais les yeux et me concentrais sur le moment présent et sur mon objectif. J'enfilais mes bottes et ma veste de pluie. Mon sac jeté sur mon épaule je fermais la porte côté jardin. J'avais pas mal de marche et je ne connaissais pas encore bien le chemin jusqu'à la maison du vieux chef. J'étais partie avec Millie et étais revenue avec Dean. À son souvenir, je pensais à ce voluptueux apaisement que j'avais ressenti à ses côtés. Et au silence étrange de ses pas. Puis à son malaise à marcher près de moi. Je savais bien que c'est ce que ressentait la plupart des gens à mon contact et au rejet qui s'ensuivait. J'avais l'habitude. Mais en ce qui le concernait, étonnamment, cela me blessait. Je voulais qu'il m'apprécie. Mon cœur se serra. Notre randonnée future m'inquiétait, je l'avoue, nos rapports étant tout juste cordiaux. Cela n'était pas de bonne augure. Il valait mieux que je me concentre sur le trajet. Je me surpris à soupirer de désespoir cependant.

À la bifurcation, je me fis une carte mentale du trajet que j'avais effectué avec Millie. À gauche. Le bruit de succion de la boue sous mes pas et la couleur de mes bottes qui se transformait en vomi verdâtre peu appétissant me fit cependant sourire intérieurement. Je revoyais les chaussures de randonnée de Millie et du bas de son pantalon crotté et dont elle n'avait absolument rien à faire. Je me souvenais de son adorable voix rapide. Elle avait été si douce et si bienveillante à mon égard, si respectueuse et chaleureuse que je me sentais revivre à ses côtés. Allais-je enfin avoir une amie ?

Bientôt la vieille maison de Silly m'apparut. Je toquais à la porte et attendis qu'on m'autorise à entrer. Une voix ferme me répondit,

- Mais entre donc Eve ! Pas besoin de frapper, c'est toujours ouvert !

Mes bonnes manières l'agaçaient au plus haut point. J'étais déstabilisée. Je devais me plier à de nouvelles règles qui étaient tout le contraire de ce que l'on m'avait appris. Entrant timidement, je souris gênée et le saluais,

- Bonjour Chef Silly, pardon pour mon retard, je me suis laissée absorbée par mon travail.

- Ouais, pas de soucis. J'ai cru que tu dormais encore... Et nous avons beaucoup de choses à nous dire !

- Bien-sûr... pardon...

- Arrête de t'excuser ! C'est bon ! ça va pour moi ! C'est pas grave hein ! me lança t'-il, amusé. Il me dévisageait étrangement, cependant. Il reprit,

- Allez, viens t'asseoir ! J'aimerais que nous parlions de La Loi de La Louve.

- La Loi de La Louve ? Je n'ai jamais entendu parler de cela...

- Normal ! Elle n'existe que pour nous, les Nashoba. Enfin, pour certains d'entre nous.

Et il entreprit de me parler des lignées, des alphas et de leur hiérarchie ainsi que de la Wakan qui régissait la meute qui avait le grand honneur de la protéger. Plus il me parlait plus mon cerveau cartésien se révulsait. Rien de ce qu'il me racontait ne pouvait exister réellement. La Loi de La Louve était une légende mais il semblait tellement y croire. J'étais dubitative mais je connaissais mon travail. Je devais faire en sorte que ce soit la vérité. C'était extrêmement important de ne pas heurter son système de croyances. Silly baignait dedans depuis sa naissance et ses ancêtres l'avaient transmise afin que la cohésion de la tribu leur permette de donner une explication à un univers dont ils n'avaient pas les réponses et dont certaines viendraient bien plus tard, grâce aux avancées scientifiques. Mais je dois dire que cela dépassait de loin tout ce que j'avais pu apprendre lors de mes études. Rien dans mes connaissances ne parlait ou se rapprochait de cette loi. Ma surprise passée je fus passionnée par ce qu'il me transmettait. C'était justement nouveau et mes articles futurs allaient bouleverser mes collègues ethnologues !

- Je suis fatigué de parler, Eve, finit par m'avouer Silly au bout de trois heures.

- Bien-sûr je comprends, je vais vous... te laisser ! Je vais reprendre tout ça chez moi et demain je reviendrais avec mes questions afin d'affiner le sujet.

- Moi, j'ai une question...

- Oui ?

- Avais-tu entendu parler de l'aura avant ?

- L'aura ? Oh ! Eh bien, quand ma mère jouait du piano, lors de ces très nombreux concerts, beaucoup disait d'elle qu'elle avait une aura. Mais j'avoue que je ne me suis jamais vraiment penchée sur la question. J'imagine que sa façon d'interpréter ses compositions faisait naître dans le public des émotions telles que l'on a parlé d'aura.

- Je ressens ton aura...

- Moi ? J'eus un recul, surprise. Comment ça ?

- Je suis un alpha, un alpha suprême. Je suis capable de sentir une aura de Wakan quand il y en a une... Namaé, mon épouse, avait la même !

- Seriez-vous en train de me dire que je pourrais en être une ? dis-je, consternée.

- Non... C'est impossible puisque tu n'es pas des nôtres... Pourtant, je sais pas... je suis pas sûr... Mais je ressens quelque chose qui ressemble vraiment beaucoup à...

- On a plutôt tendance à me fuir, fis-je, dubitative. Même votre... ton petit fils était très mal à l'aise en me raccompagnant hier soir.

- Dean ? Vraiment ? Il est très méfiant avec les inconnus, tu sais... A t'-il été malpoli avec toi ?

- Non, non ! Pas du tout ! Il parlait assez peu et j'ai eu l'impression que je... Qu'il ne m'appréciait pas trop...

- Dean est un bon gars... Il est un peu paumé ces temps-ci, tu sais... Le temps passe et il doit accepter qu'aucune femme de la tribu ne sera sa... louve.

- Il est né pour être un loup-compagnon, comme v... toi ?

- En effet, il a été élevé à cette seule fin. Tout comme Teri. Même si sa lignée est à présent déchue. C'est un Rocwood, une très grande et longue lignée, comme celle des Blackwolf et celle des Clear Rain... mais son père a fauté, il ne peut donc pas assimiler une femme de la tribu.

- Comme l'ont vécu Meham et Millie ?

- Meham est de la lignée des seconds, et Millie de la lignée des tiers. Mais oui, c'est l'assimilation qui les a réuni et fait d'eux des êtres à part, en connexion.

- Ah ! La hiérarchie des alphas... Oui, je comprends. Je ne vois pas bien ce que l'assimilation a de différent du sentiment amoureux, mais bon...

- Je comprends que c'est un peu... compliqué. Il faut l'éprouver. Mais je sais que tu es ouverte d'esprit alors je te fais confiance, me rassura t'-il.

J'entendis Millie, qui avait ouvert la porte et qui annonçait qu'elle était là. Je me levais et ramassais mes affaires.

- Demain, même heure ? ajouta Silly, me donnant ainsi un nouveau rendez-vous.

- Oui, et cette fois je ferais en sorte de ne pas me perdre dans le temps...

Silly posa sa main sur mon bras, quand je repliais mon ordinateur. Son regard croisa le mien. Il était pensif, et curieux. Il retira sa main et me sourit, mais ne dit plus rien.

Silly et moi nous retrouvâmes les deux jours suivants et il tenta de répondre à toutes mes questions. Même si je ne pouvais croire en cette loi et à la fonction de cette femme que la tribu dénommait Wakan et que je devinais medium avec tous les a priori qui pouvaient exister à ce sujet, je me gardais bien de partager le fond de ma pensée et traitais cette loi avec le plus grand sérieux.

La Loi De La Louve Tome 1 La Grande AuroreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant