CHAPITRE 14 LE LOUP GRIS

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           Dean parti, je finissais de ranger mes affaires. Comme je l'avais prédit, Eve était fragile. Enfin, par rapport à nous. Elle devrait se nourrir mieux et surtout retrouver un sommeil réparateur. Prendre des antipsychotiques n'était pas pour me rassurer sur son état mental. Et Dean se faisait peut-être influencer.

           En même temps, Elle tenait des propos censés et son intelligence venait de nous mettre en difficulté. On ne la roulait pas aisément.

           Il semblait aussi qu'elle ne croyait pas qu'elle était une Wakan, que Dean l'avait assimilé, et qu'il avait vu sa grand-mère lors d'une transe et qu'elle l'avait transporté sur cette scène de son passé. Cependant, ses absences restaient une énigme. Je ne m'y connaissais pas assez en psychiatrie ; peut- être que joindre sa psychiatre serait une bonne idée pour en savoir plus, mais je ne le ferais pas sans en parler avec Eve avant.

            Son visage pâle, ses traits tirés et ses yeux rougis m'attendrissaient. Sa fragilité cachait une grande force, j'en étais persuadé. Elle restait belle, même malade. L'échange que nous venions d'avoir me rassurait sur notre capacité à nous apprécier. Nous pouvions être des amis. Même si être ami avec une femme telle qu'Eve me paraissait délicat, car je ne pouvais le cacher, elle me plaisait. Dean était complètement fasciné et était déjà très amoureux. Peut-être que l'assimilation existait réellement finalement. Elle semblait lui faire confiance et aimait sa présence. Ils allaient bien ensemble. Leurs enfants seraient magnifiques, à n'en pas douter.

      Elle toussa de nouveau. Souriant malgré moi, je pris conscience que j'aimais être près d'elle. Oui, Elle avait quelque chose de magnétique qui envoûtait.

—  Alors, tu vas vraiment jouer du piano au mariage de Millie et Meham ? lui demandais-je, cherchant à engager une conversation plus légère après notre échange sur sa consommation d'alcool.

—  Oui. J'aimerais trouver d'autres musiciens à la réserve et faire participer ceux qui le souhaitent, me murmura t'-elle.

—  Ça me dit bien, je joue de la guitare et j'aime bien chanter. C'est Silly qui nous a appris, à Dean et à moi.

—  J'ignorais que Silly était musicien. Je vais lui demander de participer ! Et Dean m'avait caché ça. On se connaît peu, il faut dire.... Tu veux me montrer ce que tu sais faire ? me demanda-t-elle, taquine.

      Elle avait compris que j'aimais les challenges et que j'étais joueur. Et peut-être aussi pour assouvir une petite vengeance personnelle après l'avoir taquiné lors de notre première rencontre, chez Silly ?

—  Allons-y, jouons ! dis-je, facétieux.

—  Tu peux prendre ma guitare, elle est dans la pièce d'à côté, me proposa-t-elle.

            Je fis coulisser la porte et me trouvait face à un magnifique piano. Un verre de vin vide était posé sur le dessus. Je soupirais. Je devais vraiment surveiller cette addiction à l'alcool de près. Je trouvais la guitare posée sur un socle. C'était une guitare sèche de concert. J'allais apprécier de m'exercer dessus ! Je l'empoignais et revins vers Eve. Elle s'était assise et m'attendait.

            M'asseyant sur le fauteuil d'à côté, Je commençais par l'accorder. Mais elle l'était déjà. Eve en jouait régulièrement sans aucun doute. Je me lançais, confiant dans mon oreille très fine, et mon doigté souple. Eve ferma les yeux afin de se concentrer sur mon morceau. Je fis quelques accords. Elle sourit. Elle reconnaissait l'air et appréciait mon jeu. Je me sentis fier d'avoir un certain niveau et je n'avais pas à rougir face à une vraie musicienne. Je poursuivais et jouais un accord difficile pour moi.

—  Je n'arrive pas à le faire celui-ci, lui confiais-je.

—  Je te montre, si tu veux ? me proposa-t-elle.

             Je lui tendis la guitare et nos doigts se frôlèrent. Une étrange sensation électrique, me parcourut. Elle se mit à jouer, me montrant où et comment poser les accords. Le morceau était d'une qualité exceptionnelle sous ses doigts : tendre et doux. Ce qui me fit frissonner de plaisir.

             Je la dévisageais, elle jouait à présent les yeux fermés, sans regarder ses doigts. Absorbée, elle se laissait complètement imprégner par la musique. Soudain, elle ouvrit les yeux et nos regards se fixèrent intensément. Je sentis alors un tourbillon de désir et d'amour me remplir le corps. Quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant. Un désir vraiment profond de la prendre dans mes bras, qu'elle s'y sente en sécurité, qu'elle me voit comme un homme fort, responsable, et attentionné. J'étais à elle. Définitivement à elle. Je voulais qu'elle le sache. Pris par mon sentiment amoureux, je tombais à genoux devant elle. Je m'offrais à elle, soumis. Je compris que je l'assimilais ! Je devins immédiatement drogué par sa senteur de fleurs. Je pourrais la retrouver partout rien qu'en humant l'air, à présent. Et comme Dean me l'avait expliqué, elle me refusait l'accès à son esprit, ce qui fut très douloureux.

           Un sentiment de panique remplaça mon amour pour Eve. C'est à Dean auquel je venais de penser. J'allais perdre mon frère ! Il ne me pardonnerait jamais d'aimer la femme dont il était éperdument amoureux ! Je serrais les dents et un hurlement de douleur jaillit à la simple pensée de devoir me battre contre lui pour nous départager ! J'étais un monstre ! Je lui avais promis ! Je voulais mourir, m'enfouir dans une tombe, disparaître. Il fallait que je parte. Au prix d'une douleur qui me lacérait tous les muscles, la peau, le ventre, les jambes, je me relevais pour me détacher de ses yeux bleus magnifiques et intenses. Je devais me détacher tout de suite d'elle. Je devais gérer ça, contrôler mon cœur. De toute ma force, je pus me mettre debout et reculer. Son regard lâcha enfin le mien, j'en profitais pour fuir. La douleur avait pris possession de moi, mais il y avait aussi l'angoisse qui me sciait le ventre. Je sortis de la maison. Je me mis à courir de toute la vitesse dont j'étais capable et sans savoir où j'allais, je m'éloignais d'elle. Je souffrais comme jamais je n'avais souffert avant. Je courais comme un fou en hurlant ! La puissance dans mes jambes était à son maximum.

         Au bout de quelques kilomètres, j'arrivais au bout. Il ne restait plus que la falaise et l'océan face à moi. Je voulais m'y jeter et mourir. Tombant à genoux, je pleurais, et je hurlais. Eve ou Dean ? Je ne voulais pas choisir. C'était un supplice. J'étouffais dans mes larmes. Je vidais tout le désespoir que j'avais en moi en rugissant.

          Les questions fusaient au travers de ma détresse Pourquoi avais-je pu l'assimiler ? L'assimilation existait vraiment ? Et pourquoi elle, une femme blanche ? Quel était mon rôle dans cette histoire ? Comment pouvais-je faire pour les garder tous les deux ?

La Loi De La Louve Tome 1 La Grande AuroreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant