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Je passe la première nuit et les quatre suivantes, mortifiée sur la banquette, enveloppée dans ma cape de  voyage.

Mon oncle n'est pas le moins du monde gêné de dormir dans le lit ou de se déshabiller devant moi. Dès qu'il amorce le moindre geste pour ôter ne serait ce que sa veste, je file sur le pont prendre l'air et ne reviens qu'un long moment plus tard, il est alors déjà endormi. La nuit, sortir sur le pont est un petit plaisir et une bouée de sauvetage. J'en profite pour respirer l'air marin a pleins poumons sans les regards lourds des marins. Le jour, je m'enferme autant que possible dans la cabine et me cache à leurs yeux. Il me tarde que ce voyage en mer prenne fin. Malheureusement, je savais qu'il y en avait au moins pour trois mois... C'est ce que m'avait dit la Couturière lors de la confection de mon trousseau de voyage. 

Ce soir encore, j'étais montée  sur le pont, j'étais allée m'accouder au bastingage en fixant l'immensité marine qui s'offrait à mes yeux. L'ocean était calme et plat tandis que le bateau fendait la mer paisiblement, sans effort. Un aileron émergea de l'eau et se plaça dans le prolongement du bateau, suivant la même trajectoire. Fascinée, j'observais ce spectacle quand plusieurs ailerons vinrent percer la surface de l'eau. Puis soudain, le premier disparut entièrement dans l'eau et réapparut dans un saut formidable en émettant un chant strident. Un dauphin. Il replongea dans l'océan avant de reprendre son mouvement initial  a la tête du cortège de mammifères marins. Tous se mirent à reproduire joyeusement le saut du premier, accompagnants le navire sur sa trajectoire. Dressée sur la pointe des pieds, je n'en perdais pas une miette. J'en perdais le compte du temps, seulement éclairée par l'astre lunaire.

Ce fut progressif, sans que je sache a quel moment exact l'étrange sensation m'avait prise, une sorte de malaise diffus, engourdissant mon corps, picottant ma nuque... j'étais désormais certaine d'être observée. J'avais pensé d'abord que c'était la vigie qui me donnait cette sensation mais un coup d'oeil au sommet du mat et je n'avais pu que constater que notre vigie dormait à poings fermés, ne respectant pas vraiment son contrat...

J'avais balayé d'un mouvement circulaire le pont sans trouver la moindre trace de présence humaine. Étrange. Je me tournais pour reprendre mon observation mais les animaux marins avaient disparus. J'étais seule  face à la mer, et conscientisant cette brutale solitude, j'avais senti mon corps s'engourdir brusquement, comme transpercé par le froid et l'effroi. Je me sentis comme traversée par le regard fixé sur ma nuque qui avait choisi demeurer invisible. J'étais paralysée. Incapable de faire le moindre mouvement. Une étrange brume zinzolin se répandit a la surface du pont tandis qu'une odeur doucereuse de lys s'infiltra partout dans l'air, emplissant plus encore mes poumons. Une langueur léthargique vint s'abattre sur mon corps, le rendant mou et malléable... Quelque chose me commanda de me tourner face à la mer et j'obéis sans plus me poser de questions. Enfin, deux pinces froides vinrent enserrer mes épaules, m'electrisant.

Série Moon: Hazel face aux abysses.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant