La colère

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La colère est là, elle le sera toujours
Elle l'a toujours été, pourquoi partirait elle ?
Elle est tout le temps là, ancrée dans mes entrailles
Elle ne partira pas,
Si elle le fait, c'est que j'aurai explosé.

Et personne ne veut que j'explose.

La colère est là, depuis toujours. Elle me ronge de l'intérieur comme une tribu de termites. Elle est l'accumulation de tous les désagréments, injustices et rejets que j'ai vécu et pour lesquelles je ne pouvais pas répondre parce que « les gentilles filles ne répondent pas », ou parce que « tu es une enfant, tu ne comprends pas ».

Je comprenais bien, je comprenais tout, je comprenais trop.

La vérité sort de la bouche des enfants. Et si la mienne n'était jamais sortie ?

Elle n'est jamais sortie et je n'ai pas l'intention qu'elle sorte. Cette vérité générale est le groupe de toutes les vérités que j'ai pensé trop bas.

« Tu es trop honnête. » « Pourquoi tu t'énerves ? On n'a rien fait. »

Vous n'avez rien vu. Personne n'a jamais vu 1% de ma colère, de la rage enfouie en moi, un volcan qui dort encore mais qui ne saurait trop attendre pour se réveiller et anéantir une ville entière, avec ses habitants plus ou moins innocents.

Cette colère se manifeste par une chaleur constante, indispensable pour la survie en hiver, invivable en été, parfaite pour le printemps pur, étonnante pour l'automne régénérateur.

Elle se manifeste par une relaxation intense au beau milieu d'une tempête dévastatrice, dont l'après est angoissant par son calme plat.

Elle se manifeste par des pics d'énergie et des phases dépressives qui ont pour but d'intérioriser la colère grandissante. Alors, la colère se transforme en état dépressif. Au lieu d'être extériorisée comme elle aurait dû l'être il y a plusieurs années, elle est intériorisée, tellement qu'elle prend toute la place là-dedans, tellement qu'elle devient la personnalité de l'individu qui souffre de la fureur existentielle.

Elle se manifeste par des envies de meurtres, de violences de tous types, des images violentes, horribles, gores, terrifiantes, mais pour autant satisfaisantes. Puis la culpabilité donnée par la colère prend le dessus, et on pense à la mutilation, à se faire du mal pour compenser le mal qu'on a pensé de l'autre, ce qui nous énerve encore plus. Ça n'est pas encore arrivé, mais ça ne saurait tarder.

Elle se manifeste par une hausse soudaine de l'activité cardiaque, qui s'accompagne par une hausse induite de toute l'activité cérébrale (pas dans le bon sens du terme) et corporelle. Je marche en rond, peu importe où je suis, ma tête se relève automatiquement, et mes pensées fusent. Dans ces cas là, je ne suis rien d'autre pour mon cerveau qu'une vie sans intérêt, ruinée par le patriarcat, la crise écologique et les bébés africains qui meurent de faim ; je ne suis rien et tous mes problèmes sont les miens, seulement les miens, personne ne doit être au courant. Et vu que personne ne doit être au courant, je me calme, personne ne doit être au courant que je suis perturbée, alors personne ne verra rien. De toute façon personne ne voit jamais rien, même les signaux ne sont pas assez clairs.

Elle se manifeste par un penchant pour les choses malsainement dangereuses et potentiellement mortelles, comme lorsque voir une explosion juste derrière un journaliste reporter en Ukraine m'a encore plus donné envie de faire ce métier.

Elle se manifeste par un toucher, un arrachage systématique des poils de sourcils comme comportement pour compenser la colère et l'angoisse grandissantes en moi. Ce qui m'oblige à maquiller ce sourcil, pour que, encore une fois, personne ne voit trop bien mon mal-être. Ça ne fait pas mal, ça fait même du bien, mais c'est moche. On dit que les sourcils marquent l'expression et le caractère, sans sourcil je ne suis rien, c'est peut-être ça qui me pousse à ce comportement. N'être rien empêche toute incidence sur la réalité, puisque je n'en fais pas partie. Je ne fais pas partie de cette réalité qui est la mienne, alors je ne peux pas en souffrir. Je masque la réalité, la mienne, pour que personne ne voit.

La colère est là, elle le sera toujours. J'ai appris à vivre avec, à la canaliser, aussi incontrôlable soit-elle. Ma violence ne vise que moi, jamais ceux que j'aime, même si les pulsions me donnent des images horribles, devenues aussi banales que la colère elle-même.

Mais ma colère a fini par heurter ceux que j'aime. Ma sincérité est colérique et donc destructrice. Ma colère devient trop grande pour ce petit esprit qu'est le mien, ce petit esprit d'une simple adolescente qui n'a jamais rien demandé mais qui aurait dû. Quand le contenant est trop petit pour le contenu, il explose, laissant s'échapper le contenu comme celui-ci l'entend. Le contenu détruit le contenant mais aussi tout ce qu'il touche ensuite.

Comment est-ce qu'une personne toxique pour elle-même peut ne pas l'être pour les autres ?

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C'est sûrement le texte qui me décrit le mieux.

Thoughts/PenséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant