Chapitre 30 - Conjurer le sort // 2

1K 84 71
                                    


La voix d'Eric me parvient de loin.

— Elle est enceinte, de douze ou treize semaines...

J'entends des bips de tonalités différentes et sens un brassard à tension se resserrer autour de mon bras.

— Vous savez si elle a des allergies ?

— Non, je ne sais pas...

Mes paupières pèsent une tonne mais je parviens finalement à ouvrir les yeux. Au premier coup d'œil, je comprends que je me trouve sur un brancard, dans un box des urgences. Au pied de mon lit de fortune, Eric est en grande discussion avec un médecin élancé aux cheveux grisonnants, en tenue verte de bloc. En reportant son attention sur moi, ce dernier s'aperçoit que j'ai les yeux ouverts et contourne le brancard pour s'approcher de moi.

— Madame Duval, vous êtes réveillée ?

— O... oui...

La lumière qu'il me met dans les yeux m'éblouit.

— Les pupilles sont réactives, les constantes sont bonnes... marmonne-t-il. Vous vous souvenez de ce qui s'est passé ?

Mon cerveau peine à se mettre en route. Je n'ai que des bribes de souvenirs mais, plus je me concentre, plus les détails me reviennent.

— J'ai perdu le contrôle de ma voiture, articulé-je péniblement.

— Vous avez mal quelque part ? poursuit le médecin.

Je fais non de la tête et le laisse m'ausculter, me faire plier les jambes et tester mes réflexes. Pendant qu'il m'examine, ma main se porte instinctivement à mon ventre. Au pied du lit, Eric ne bouge pas et assiste, impuissant, à la scène. Je sais qu'il pense à la même chose que moi, à ce bébé que nous avons fini par accepter tous les deux...

— Votre examen clinique est normal, reprend le médecin. Les cervicales ne sont pas touchées et il n'y a pas eu de traumatisme crânien.

— Docteur, je...

J'ai la gorge nouée par une énorme boule qui m'empêche d'articuler correctement.

— Mon... mon bébé...

L'homme hoche la tête et passe son stéthoscope autour de son cou.

— On va faire une échographie de contrôle. Je vous envoie une infirmière. Repassez par l'accueil et vous pourrez aller directement aux urgences gynécologiques.

À ces mots, il quitte le box d'un pas vif. Eric le remplace à mon chevet. Je ne me souviens pas l'avoir déjà vu aussi pâle. Ses traits sont tirés, inquiets, au point que se dessine un oméga sur son front plissé.

— J'ai eu tellement peur... souffle-t-il en se laissant tomber à genou sur le sol.

Il prend ma main dans les siennes en ignorant le saturomètre à mon doigt.

— Quand j'ai vu ta voiture devant la maison, j'ai cru...

Il ne finit pas sa phrase et baisse les yeux sur nos doigts entrelacés. Il a vraiment l'air de souffrir physiquement. Plus que moi qui, maintenant que j'ai émergé, réalise que je n'ai aucune douleur.

— Je n'ai rien, murmuré-je doucement en passant précaution ma main libre dans ses cheveux. Je roulais vraiment doucement. La voiture s'est quasiment arrêtée toute seule.

Eric presse son visage contre ma paume et lève enfin les yeux vers moi. Son regard torturé me serre le cœur. Je caresse tendrement sa joue pour tenter de l'apaiser, lisse les plis de son front de mon pouce, comme si je pouvais effacer sa peine. Sans me quitter des yeux, il saisit ma main et porte le dos de mes doigts à ses lèvres. Une infirmière pénètre dans le box à ce moment en poussant un fauteuil roulant.

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant